nemeqt des conversations allait croissant, lorsque
soudain le silence se fit, lis huissiers dégagèrent l’entrée,
et nous vîmes sur la place un cavalier en tenue
de combat qui parcourait ventre à terre une vaste
arène formée par des rangs compactes de soldats. Il
arrêta court au bas-bout de la table, et javelot et bouclier
haut, il débita son bardit ou thème de guerre,
qu’il interrompit plusieurs fois pour galoper autour de
l’arène. Son cheval, échauffé à l’avance, revenait la
bouche sanglante et pantelant, heurtait la table ou
foulait quelque convive. Cet énergumène eut bientôt
monté les esprits a son diapason ; d autres se présentèrent
successivement, les uns seuls, d’autres à la tête
de petites troupes ou accompagnés de fusiliers qui
appuyaient de décharges les discours de leurs maîtres.
Trois ou quatre heures se passèrent à suivre ces
représentations militaires, auxquelles les Éthiopiens
se plaisent particulièrement la veille d’une bataille.
Les uns profitaient de la circonstance pour réclamer
contre les oublis ou les partialités dont il s se disaient
victimes; d’autres s’engageaient à une action d’éclat
pour mériter quelque faveur demandée depuis longtemps;
des rivaux convenaient publiquement de regler
leur différend de telle ou telle manière, selon que l’un
ou l’autre se distinguerait le plus durant la bataille s
duel utile au moins à la communauté, puisqu’il se
décide au détriment de l’ennemi, et rappelle les duels
analogues entre légionnaires romains.
Le Prince fit dire à un vieux fusilier de sa garde,
qui avait jadis tué un lion, d’aller figurer à son tour
dans l’arène, et l’apparition" de ce soldat indiqua la
clôture de la fête; car lorsqu’un homme qui a tué un
lion vient débiter son thème de guerre, on ne peut se
présenter après lui, à moins d’avoir accompli plus de
faits d’armes et tué également un lion. Pendant que
le vétéran achevait, on fit évacuer les tentes, et le
Prince, fatigué de toute cette représentation, se retira
dans sa hutte.
De son côté, Birro Guoscho avait présidé un repas
analogue pour ses gens, et jusqu’à dix ou onze heures
du soir, des décharges se firent entendre par ci par
là dans le camp; c’étaient des chefs qui, après avoir
assisté au festin du Dedjazmatch, faisaient banqueter
aussi leurs .propres soldats.
Nous nous remîmes en marche le lendemain. Le
Prince envoyait message sur message au Lidj lima
et à son frère Mokouannen, pour les engager, s’ils ne
se décidaient pas à licencier leur armée et à prendre
refuge auprès de lui, à la conduire du moins dans les
Kouallas de leur province du Kouara. Il obéissait,
disait-il, à des exigences politiques, momentanées sans
doute, et il les suppliait de lui éviter, n’importe par
quel moyen, la nécessité de les combattre. Mais les
jeunes princes, enivrés par la confiance de leurs troupes
dans la victoire, .ne répondaient que par des défis.
J’étais présent lorsqu’il leur expédia le message suivant
:
« Qu’avez-vous donc fait des vieux conseillers
» de votre père, que vous m’adressiez ainsi des par
» roles provocantes, à moi, votre meilleur protecteur?
» Sachez que le temps modifie les affaires et les re-
» lations des hommes, au point que parfois quelques
» jours suffisent pour faire d’un ennemi un ami ou un
» allié utile. Sachez aussi qu’on n’oublie pas les bles-
» sures faites par la langue, et mettez de la modé-
» ration à user de votre fortune.»
Les fusiliers du Prince et ceux des seigneurs se
réunirent au nombre d’environ dix-sept cents, dans un