l’instrument, et le remède, minutieusement pesé, je
le délayai dans un peu d’eau.
Le Prince ayant mis le principal ennuque sous
mes ordres, je fis d’abord sortir toutes les femmes
qui encombraient la maison ; l’aumônier, la parente
favorite , la naine, trois ou quatre petites filles de
services et un ancien Fit-worari, proche parent de
la Waïzoro, furent les seules personnes dont je tolérai
la présence. La malade étant toujours insensible,
on dut lui desserrer les dents pour lui faire
prendre la potion. Son parent fit observer que je
devrais, selon l’usage, goûter la boisson avant de
l’administrer, mais il n’osa pas insister. Quelques
symptômes heureux se manifestèrent, mais se dissipèrent
bientôt; des frictions énergiques les firent
reparaître, et je courus chez le Prince. Pendant que
je lui faisais mon rapport, nous entendîmes des
éclats de pleurs, mêlés au début d’une de ces thré-
nodies qu’on chante aux funérailles. Le Prince
tressaillit et m’interrogea du regard.
— Non, non, Monseigneur, cela n’est pas, lui dis-je ;
je ne vous l’aurais pas caché.
J’envoyai des huissiers, des pages, des ennuques
tous ceux que je pus trouver, pour disperser les thré-
nodes et affirmer que la princesse allait mieux; la
cloche de l’église commençait même à sonner le glas,
mais on étouffa tous ces bruits de sinistre augure.
Cependant, de retour auprès de la malade, je perdais
moi-même tout espoir, lorsqu’enfin elle ouvrit les
yeux. Peu à peu, comme des profondeurs de sa
léthargie, l’intelligence remonta dans son regard,
qu’elle arrêta sur moi, en disant lentement !
— Tiens! Mikaël h.. J’ai donc été bien mal?
Bientôt, elle donna d’une manière plus active et
continue les preuves de son retour à la vie; elle chercha
à rassurer son aumônier et ses suivantes, se fit
soulever, demanda l’absolution et me dit, pendant qu’on
la remettait sur sa couche :
— Hélas! Mikaël, que nous sommes peu de chose!
Le prêtre pleurait de joie, bénissait sa pénitente, et
la bénissait encore, les autres se répandaient en actions
de grâces. Je dus les engager à contenir leurs manifestations,
par ménagement pour leur maîtresse; j’indiquai
quelques soins à donner, et malgré l’opposition
aimable de la malade, je la quittai pour aller confirmer
au Prince l’heureuse nouvelle que je lui avais déjà envoyé
porter par un eunuque.
La nuit était avancée; beaucoup de gens veillaient
sur la place, accroupis autour de grands feux; la bonne
nouvelle circulait déjà parmi eux, et je jouis à mon passage
de l’heureuse impression qu’elle leur causait, car
la Waïzoro était aimée de tous,
Je trouvai le Prince, son chapelet à la main; sa
physionomie s’éclaira de joie, lorsque je lui dis que je
lui apportais le bonsoir de la part de sa femme, qui
avait complètement repris ses sens, et qui le priait de
se rassurer sur son compte.
La Waïzoro eut encore quelques évanouissements,
mais la semaine' n’était pas écoulée qu’elle entrait en
convalescence. Ses gens ne voulaient plus rien faire
sans mes avis; le digne aumônier venait à tout propos
me chercher jusque chez le Prince, pour me mener
auprès d’elle, et comme je parlais assez couramment
l’amarigna, je pus goûter les charmes de la conversation
de cette femme, qui eût été remarquable en tout
pays. LeS préparatifs de départ furent repris; les notables
de la frontière chargés d’intercepter les communica^