terlocutrice. Il était en veine, et, à en juger par les
rires fréquents de la Waïzoro, elle goûtait fort son
entretien. Plusieurs fois, je compris qü’il était question
de moi; mon drogman n’avait pas été admis,
mais le- Lik n’était point en peine de faire les honneurs
de ma personne, Je Connaissais déjà ces réceptions
faites à travers Un rideau, A GOndar, ■ il
était d’usage que l’Itchagué reçût ainsi; mais lors-
que je l’allais voir, il avait la gracieuseté de lever
pour moi un coin du voile. La Waïzoro m’ayant
offert des rafraîchissements que je refusai, me dit
de passer auprès d’elle; et une jeune naine toute
difforme tint le rideau afin que je pusse m’insinuer
le plus discrètement possible.
Sur un haut alga, garni d’un tapis d’Anatolie, la
princesse était assise à la turque, entre deùx larges
coussins recouverts de taies écarlates tombant jusqu’à
terre. Sa chevelure, crêpée avec soin, encadrait
avantageusement un front large et haut qu’éclai-
raient de grands et beaux yeux, intelligents et doux;
les plis de sa toge lui cachaient coquettement le-
bas du visage, qui perdait une grande partie de son
charme, lorsqu’en parlant elle découvrait sa bouche
disgracieuse.
De Fautre côté du rideau, le Lik nous servit
d’interprète. La Waïzoro s’étonna de ce qu’avec un
extérieur si peu fait, selon elle, pour les fatigues et
les intempéries, j’eusse pu venir de pays si lointains.
—■ Car enfin, dit-elle, des hommes comme cela
doivent fondre au soleil.
Le Lik s’échauffa pour prouver la supériorité
physique et morale des Européens ou hommes
rouges, comme ils nous appellent; il prit ses
preuves dans l’histoire d’Alexandre, et" dans l’Histoire
Sainte, passa au Bas - Empire et aboutit à
l’éloge de la valeur française, reconnaissant, il est
vrai, que la Bible ne mentionne notre nation que
d’une façon fort obscure ; mais, pour confirmer son
dire, il offrit de faire venir à Dabra Tabor une
femme très-âgée, .esclave en Egypte à l’époque du
débarquement du général Bonaparte, femme connue,
disait-il, pour son discernement et sa véracité. La
princesse, quoique peu convaincue, se tint pour
satisfaite ; et le Lik me dit en arabe ;
— Mettez le feu à-une solive, il en sortira une
flamme ; mais prêchez-la, il n’en résultera rien.
La Waïzoro me fit des questions sur les Françaises,
mais ne s’intéressa que faiblement au récit
de nos usages et de nos moeurs. Elle regretta qu’on
nous eût refusé la porte du Ras, nous donna une
de ses suivantes pour nous introduire chez lui, et
nous dit de revenir auprès d’elle sitôt notre visite
faite.
Nous retournâmes chez le Ras. Les huissiers ne
voulurent rien entendre; la suivante de la Waïzoro
entra seule et revint bientôt, accompagnée d’un
page chargé de m’introduire avec mon drogman
seulement. Le Lik, me voyant contrarié de son exclusion
si formelle, me dit:
— Ne t’en préoccupe pas; entre; sois réservé,
observe tout, et tu comprendras que je ne perds
rien à rester dehors.
Je trouvai le Ras assis sur un tapis persan, devant
quelques tisons qui fumaient au milieu de la pièce
parsemée de fanes odorantes ; une vingtaine de
favoris étaient debout autour de lui. Il avait les
beaux yeux de sa mère, le front étroit, pauvre, les
traits agréables d’ailleurs, rien qui fit présumer une