troupes envoyées contre lui par le Dedjazmatch, il
finit par le vaincre lui-même en bataille rangée.
Le Ras Gouksa, originaire, comme on sait, des Gallas
de l’Idjou, s’efforçait alors de restaurer à son profit
l’omnipotence impériale; et quoique le Dedjazmatch
du Damote fût son vassal, il trouva opportun de
reconnaître Zaoudé, mais avec le dessein de le déposséder
à la première bonne occasion. Le Dedjadj
Zaoudé épousa la Waïzoro Dinnkénech, princesse de
la famille impériale, et de ce mariage était ne Guoscho.
Gouksa ne tarda pas à disposer du Damote en
4 faveur d’un de ses lieutenants, et à l’envoyer, à la
tête d’une armée, prendre possession de son investiture.
Zaoudé battit ce nouvel adversaire, et, après
quelques années durant lesquelles il vainquit plusieurs
prétendants envoyés contre lui dé la même
façon, il s’allia, avec le Ras Waldé Sillacé, Polé-
marque du Tegraïe, et prit rendez-vous avec lui en
Bégamdir, pour liver bataille au Ras Gouksa. Zaoudé
s’avança selon les conventions ; mais au dernier moment,
il apprit que son allié, déjà en marche, retournait
sur ses pas, et il se trouva seul, en face
d’une armée quatre ou cinq fois plus nombreuse
que la sienne. Ses troupes furent encore réduites
par la défection de quelques importants vassaux, qui,
effrayés de son audace, passèrent à l’ennemi, la
veille de la bataille. On le pressa de battre en retraite
pendant qu’il en était encore temps.
— Je mourrai, répondit-il, plutôt que de fuir un
ennemi sans l’avoir combattu.
Il combattit, en effet, et tomba aux mains de son
vainqueur. Afin de soustraire à l’ennemi de sa maison
son fils encore enfant, il lui fit dire de se réfugier
auprès de ses parents en Amourou. Chaque année,
un messager lui apportait une baguette à la mesure
de la taille de l’enfant, et il marquait une
hoche correspondante sur le mur de sa prison. La
huitième année de sa captivité, ayant reçu une
huitième baguette, il la fit mesurer sur quelques
soldats qui le gardaient, et en trouvant un dont elle
égalait la taille :
— Que fait ton père ? lui dit-il.
— Il travaille aux champs.
Oh! moi, père d’Ipsa (1)! Ce fils de paysan est
déjà sous le harnais militaire, et mon fils, à moi, vit
inutile dans le pays d’autrui! Va, dit-il au messager,
dis a Guoscho qu’il ceigne ses reins, qu’il repasse en
terre chrétienne, et qu’avec l’aide de Dieu et du sang
que je lui ai donne, il est de taille à conduire des
( I ) Ipsa était le nom du cheval de guerre de Zaoudé et signifie lumière
en langue ilmorma.ou galla.
Tout cavalier éthiopien, soit de race chrétienne, soit de race ilmorma,
adopte un nom pour son premier cheval de combat, et ce nom, qui passe5
à tous les chevaux de combat qu’il aura par la suite, sert à le désigner
lui-même. Chez les Tegraïens et chez les Gallas surtout, il est messéant
d’appeler un homme par son nom patronymique ; on l’appelle en le désignant
comme le ■père de son fils aîné ou de son cheval de combat. Ainsi
quelqu’un voulant parler de Zaoudé ou l’interpeller, l’aurait fait en
1 appelant père de Guoscho, ou bien père d’Ipsa. Dans son bardit ou
thème de guerre, chaque guerrier se désignera lui-même d’après cet
usage, ou si son père a eu quelque notoriété militaire, il se désignera
encore au moyen du nom qu’on pourrait appeler chevaleresque de son
père, comme dans cette exclamation de Dedjadj Guoscho : « Oh ! moi,
fils du gère d’Ipsa ! »
Comme on Ta vu au sujet de l’autorité des Atsés, les Éthiopiens ne séparent
pas l’idée d’autorité de l’idée de paternité. Ils traitent de père
l’homme qui a une autorité sur eux, et ils se disent ses fils. De plus, le
mot père exprime pour eux l’idée de propriété, et, pour s'informer à
qui appartient tel champ ou telle toge, ils demanderont quel est père
de ce champ ou de cette toge. Père d’Ipsa veut donc dire maître, propriétaire
-d’Ipsa. C’est une conception digne de remarque, que celle
d’un peuple qui réunit ainsi, sous un seul vocable, les trois idées fondamentales
de toute société : l’autorité, la paternité et la propriété.