sur l’état de santé de mon frère, nous envoyait
pour lui, discrètement, un bol de lait chaque jour.
Toudjourrah n’est, à proprement parler, qu’un caravansérail
servant de débouché au commerce d’esclaves.
Son établissement n’annonce aucune de ces
précautions nécessaires pour subvenir aux besoins
d’une population assise à demeure ; les habitants y
sont campés plutôt qu’établis; ils n’ont presque pas
de mobilier; le chef de famille peut toujours charger
sa femme, ses enfants et ses ustensiles sur le dos d’un
des chameaux agenouillés à sa porte, et, abandonnant
une maison dont la valeur intrinsèque est presque
nulle, il peut, dans le plus bref délai, transporter
ailleurs ses pénates. Les habitants sont très-sobres;
chaque famille se tient en relations avec des bédouins
de l’intérieur qui lui fournissent du beurre fondu et
du sorgho; le blé, le riz et quelques autres objets
de consommation n’arrivent que sur commande et
par mer; parfois ils égorgent une chèvre, et de loin
en loin un boeuf ou un chameaoe On ne trouve à Toudjourrah
ni bazar,-ni marché de comestibles. Il était
donc facile de nous empêcher d’acheter aucune denrée
alimentaire.
Deux partis s’étaient formés à notre sujet, et le
Sultan oscillait entre eux : l’un voulait maintenir notre
exclusion du droit commun, l’autre nous laisser libres
de nous joindre à une caravane qui se formait pour
le Chawa. Ce dernier parti allait prévaloir, lorsque
nos adversaires frétèrent expressément un bateau
arabe, et allèrent à Aden prévenir le capitaine Heines
qu’ils ne répondaient plus de pouvoir nous empêcher
de partir pour le Chawa; et quelques jours après, un
brick de guerre anglais (the Euphrates) vint stationner
à Toudjourrah. La semaine suivante un second brick
vint relever le premier, qui s’en retourna à Aden,
et ces deux bâtiments se relayèrent ainsi pendant plusieurs
semaines pour tenir le gouverneur d’Àden au
courant de toutes nos actions. Le Sultan reçut l’ordre
de faire suspendre le départ de la caravane qui
devait nous emmener en Chawa, et cet ordre contraria
d’autant plus les trafiquants que nous étions
au mois de mars, et que les chaleurs se faisaient
déjà sentir.
Un matin, à mon lever, j’appris qu’un bâtiment
arabe venu d’Aden avait jeté l’ancre dans le port
au point du jour; qu’un Européen était descendu à
terre, et qu’on l’avait force a coups de bâton a se
rembarquer et à remettre a la voile. En sortant,
j’allai chez Saber, qui me confirma cette nouvelle et
m’indiqua le bâtiment, qui disparaissait déjà a 1 entrée
de la baie. Je sus plus tard que cet Européen
n’était autre que notre compatriote M. Combes. Il
avait pour mission de se rendre auprès de Sahala
Sillassé, le Polémarque du Chawa. À Aden, le capitaine
Heines lui avait donné l’hospitalité dans sa
maison, mais sans oublier néanmoins de préparer
à Toudjourrah la réception déplaisante qui lui fut
faite. Les officiers des deux bricks qui se relayaient pour
nous surveiller n’eurent plus aucune - relation avec
nous, et nous regrettâmes le capitaine Christofer, dont
la courtoisie adoucissait du moins la rigueur des ordres
qu’il était chargé de transmettre à notre sujet :
il avait été désigné à un commandement dans l’Inde.
Cette attitude des officiers anglais ne contribua pas
peu, selon Saber, à encourager la malveillance de ceilx
des indigènes qui cherchaient a s’attirer les libéralités
du gouverneur d’Aden,