son s’étend en quelque sorte sur tous ceux qui participent
à sa fortune, et le vieux ou le bon serviteur,
en maintes circonstances, prendra le pas même sur
le fils aîné de la famille.
Le Dedjadj Guoscho n’avait de sa femme, la Waï-
zoro Sahalou, que deux fils : le Lidj Dori et son puîné
Fit-Worari Tessemma; mais, comme beaucoup de ses
compatriotes de toutes conditions, il avait un nombre
mal défini de bâtards. Dans cette catégorie, on lui
connaissait quatre filles , deux mariées à des Polé-
marques, vassaux directs du Ras, et deux à des seigneurs
de moindre importance. L’opinion publique
admettait volontiers la réalité de leur filiation, mais
il n’en était pas de même à l’égard de huit ou neui
garçons, dont les mères rapportaient la paternité au
Dedjazmatch, et qui faisaient précéder leur nom de la
dénomination de Lidj (enfant), impliquant la qualité
de fils d’homme de marque.
Peu d’années auparavant, une femme était venue
solliciter, comme tant d’autres, quelque libéralité du
Dedjazmatch. Selon l’usage, elle se présenta, un cadeau
à la main, et,' par une allusion qui ne fut comprise
que dans la suite, elle fit Consister son cadeau en une
de ces petites corbeilles à couvercle, dans lesquelles
les hommes aisés en voyage font porter leur collation.
Le Prince désigna Ymer Sahalou comme baldéraba
de la solliciteuse. Ge baldéraba (maître de parole) est
une espèce de patron introducteur, servant d’aide-
mémoire et d’intermédiaire entre son maître et les
solliciteurs, même de son entourage, lorsqu’ils ne
sont pas admis dans une intimité qui les autorise à
rappeler directement leurs demandes. Ymer transmit à
son maître les confidences de sa nouvelle protégée,
d’où résultait pour le Dedjazmatch la paternité d’un
fils de plus. Le père n’avait aucun souvenir de la
mère, mais le zélé baldéraba fit ressortir quelques
petites concordances entre le récit de cette femme
et des circonstances antérieures de la vie du Prince,
et il le pressa si bien, que, grâce aussi à la facilité avec
laquelle les Ethiopiens se rendent en pareille occasion,
lé Dedjazmatch accepta ce nouvel enfant, qui allait
entrer dans l’adolescence et qu’on nomma Lidj Birro.
On l’envoya à l’école; il grandit comme il put, et au
bout de quelques années il fut admis à suivre son père
à l’armée, mais sans que rien annonçât que sa qualité
de Lidj fût prise au sérieux et dût contribuer à sa
fortune.
Sur ces entrefaites, le Dedjazmatch, ayant froissé
l’amour-propre de l’altière Waïzoro Manann, se vit contraint
de rompre avec le Ras Ali, qui subissait encore
l’ascendant de sa mère. Les hostilités commencèrent ;
mais bientôt, la Waïzoro s’étant remariée comprit
ce qu’il y avait d’impolitiq.ue à donner cours à ses
ressentiments, et feignant de les oublier, elle fit dire
au Dedjazmatch qu’ils étaient faits pour s’entendre,
et que pour bannir à tout jamais l’esprit malin qui
s’était glissé entre eux, elle lui proposait de réunir
leurs maisons par un mariage entre sa fille unique,
son enfant préférée, la Waïzoro Oubdar ( limite de
beauté), et Tessemma Guoscho. La paix fut conclue
entre le Ras et le Dedjadj Guoscho. Gelui-ci, pour
donner un titre au Lidj Tessemma, le nomma Fit-
worari de son armée, lui transféra les droits d’aînesse
du Lidj Dori, frappé, comme on sait, de faiblesse
d’esprit, et quelques mois après il se rendit
à Dabra Tabor dans le but ostensible de conférer
avec le Ras sur les affaires générales, mais au fond
pour conclure l’union projetée^