l’alarme dans le cas d’une irruption du Ras, qui, de
son côté, avait réuni à petit bruit près de Dabra-
Tabor plus de quatre mille de ses meilleurs cavaliers.
Mais ces deux Polémarques essayaient en vain
de cacher leurs intentions, elles transparaissaient
chaque jour davantage; la pacification du Dambya
s’en ressentait. Les marchés étaient mal pourvus, les
caravanes n’osaient s’aventurer, la défiance arrêtait
toute transaction, chacun se préparait à de nouveaux
troubles.
Quelques favoris du Ras, mécontents de leur position,
désertèrent et vinrent chez Birro; celui-ci
leur fit excellent accueil, donna des grades à quelques
uns et obtint du Ras la rentrée en grâce des
autres, avec une position plus avantageuse. Aussi,
beaucoup de notables d’Ali étaient-ils prêts à passer
au service de son adroit vassal. Parmi eux se
présenta un cavalier nommé Syoum, destiné à une
célébrité précoce. D’une famille noble, mais déchue,
Syoum était entré comme page chez le Ras Imam,
un des prédécesseurs d’Ali; une réponse spirituelle
le fit remarquer de son maître, qui, avant de mou-'
rir, le promut au grade d’échanson pour ses veillées
intimes. Le jeune Syoum, devenu bon cavalier
et fort lutteur, avait de plus pris cette énergie de
caractère commune à tous ceux qui, comme lui,
avaient fait leur éducation militaire dans la rude
intimité d’imam. Admis au nombre des compains du
Ras Ali, l’ambition le rendit inquiet; trouvant son
avancement trop lent, il venait chez Birro. Celui-ci
lui donna l’investiture d’un fief, auquel était attaché
le titre de Balambaras ou chef des écuries impériales,
et il le revêtit publiquement d’une cotte-d’ar-
mes en soie, comme il est d’usage pour ce titulaire.
Syoum était âgé d’environ vingt-huit ans, grand,
bien fait, gracieux, d’une force musculaire peu commune
et le teint sombre et velouté que les Éthiopiens
comparent à la couleur d’une grappe de raisin
noir ; il avait une grande distinction de manières, le
visage séduisant, des façons à la fois modestes et
hautes qui semblaient annoncer sa confiance dans sâ
fortune. Élevé dans les cours, son tact le guidait
sûrement au milieu des dédales des intrigues; son
élocution facile, son amabilité, son entrain et son
intelligence, plus sérieuse què ne le comportait son
âge, captivèrent promptement Birro, et en quelques
jours, quoique faisant pressentir un concurrent redoutable
à la faveur de son nouveau maître, il
s’était concilié les favoris, les notables ,et jusqu’aux
pages.
Le montfort de Tchilga, le plus considérable du
Dambya, où s’étaient réfugiés avec leurs richesses,
des partisans influents d’Ilma, défiait l’autorité de
Birro.
Celui-ci, comptant se servir du jeune prince pour
hâter la soumission du pays, avait obtenu de son
père la remise de sa personne. Il somma les partisans
de son prisonnier de lui rendre le montfort,
les menaçant, sïls persistaient dans leur refus, de
faire couper le poignet de leur ancien maître ; et
pour qu’ils ne doutassent pas de sa résolution, il fit
mettre le malheureux prisonnier' a la torture, en faisant
resserrer l’anneau de fer qui fixait la chaîne à
son poignet.
— Dépécez-le et jetez ses membres aux chiens,
répondirent les assiégés; vous en aurez l’odieux; nous
nous ne nous rendrons pas!
En apprenant la conduite cruelle de son fils, le