encore que les individus, les nations tendent à l’é-
goïsme, à l’isolement, aux défiances et aux jalousies; et
philosophes et législateurs n’ayant rien trouvé dans
nos horizons qui puisse atténuer la prédominence de
ces principes destructeurs, c’est au delà de la terre
qu’il faut aller chercher, c’est en dehors d’elle qu’il faut
trouver le point d’appui pour soulever l’homme et le
faire progresser dans un système moral qui le rapproche
de l’éternel foyer, afin que les peuples, éclairés de
plus en plus, reconnaissent le but suprême et la solidarité
de leurs destins.
La nation éthiopienne, entourée de sociétés ennemies
de ses principes religieux, et vivant dans un
isolement séculaire, en a conçu un patriotisme exclusif,
qui lui fait regarder comme barbares les moeurs
autres que les siennes, et tout étranger comme un
ennemi à mépriser ou à craindre. Aussi les Éthiopiens
se montrent-ils défiants envers le voyageur, à moins
toutefois qu’il ne soit chrétien; en ce cas, ils l’admet-
ment comme de plain-pied dans une sorte de familiarité
qu’il dépendra de lui de confirmer et de rendre
complète. Mais malgré les facilités que lui procure la
conformité de principes religieux, il lui reste encore
bien à faire pour que les indigènes se révèlent à lui
tels qu’ils se révèlent à leurs propres compatriotes.
Afin d’arriver à ce résultat, nécessaire pour juger sainement,
il lui faut déployer un tact de tous les instants,
mais surtout aimer ceux qu’il étudie ; car c’est
sous l’influence de l’affection que l’homme se montre
tel qu’il est, les sentiments contraires étant autant de
masques qui déforment ses traits. Voyager avec la
seule préoccupation de butiner et de s’en retourner
au plus tôt dans sa patrie, rend le voyageur sujet à
d’étranges méprises. Son ignorance ou son dédain des
moeurs et des usages, ou son zèle intempestif à s’y
conformer le mettent également dans un jour faux,
qui l’expose à inspirer comme à concevoir des jugements
erronés ; il subira des situations qu’il n’eût acceptées
à aucun prix dans sa patrie, et il porte à son
respect de lui-même des atteintes irréparables, car de
même que la calomnie, une réprobation unanime,
même imméritée, laisse comme une empreinte après
elle. Quelqu’injuste que cela puisse paraître, ses discours,
ses actes et jusqu’à son maintien font préjuger
de ses compatriotes, et la faveur ou le blâme qu’il
s’attire s’étend jusqu’à eux. A mesure qu’il s’écarte des
routes battues, il assume une responsabilité plus
grande vis-à-vis de sa patrie; il lui incombe, sous
peine de manquer à son devoir de la faire estimer
et aimer en lui ; et s’il est assez heureux pour avoir
réussi, il a bien mérité, puisqu’il a semé la fraternité
entre les hommes.
Ces réflexions, que m’inspiraient les derniers échos
de la réputation en Éthiopie du voyageur écossais,
devaient naturellement éveiller ma reconnaissance
envers ce hardi devancier, qui, par sa nature bienveillante,
son tact et son esprit de sagesse, avait su laisser
sur ses traces une opinion si favorable des Européens,
et rendre ainsi à ses successeurs la responsabilité
plus légère et la voie plus facile.
Un autre souvenir, bien plus ancien, qu’on retrouve
en Éthiopie est celui du Moallim Petros (maître Pierre),
nom que les indigènes donnent au jésuite espagnol
Pedro Paëz. Ce missionnaire, parti vers le commencement
du dix-septième siècle, pour aller prêcher le
catholicisme en Éthiopie, fut pris par des corsaires
musulmans et vendu comme-esclave dans l’Yemen; il
y resta plusieurs années, mettant à profit son infor