404 DOUZE ANS DE S É JO U R
plaine boisée qui s’étendait à nos pieds, nous Grumes
apercevoir environ 800 fantassins précédés par des
éclaireurs et marchant droit sur nous en soulevant la
poussière. Birro se remit en selle, poussa vers 1 ennemi,
mais la rapidité de Dempto lui donna bientôt
une avance telle, qu’il crut prudent d’attendre ses
cavaliers. L’un d’eux, doué d’une meilleure vue que
les autres, nous cria :
— Tout doux 1 frères; nous avons bien le temps ;
laissons souffler n o s chevaux ; les vaches doivent être
à sec à cette heure, et ne redonnent de lait que dans
la soirée. -
Une folle hilarité s’empara de nous : le nuage de
poussière n’était soulevé que par un beau troupeau
de bestiaux. Pour compléter notre désappointement,
les vachers, nous apprirent que Woldé Teldé avait
décampé depuis longtemps.
Malgré ses qualités militaires incontestées, ce chef
ne pouvait rien mener à effet; brave, généreux, affable
et instruit, il excitait partout des sympathies,
mais sans profit pour sa cause. Élevé à la cour de
son parent, le célèbre Dedjadj Maro, gouverneur du
Dambya, de l’Agaw-Médir, du Metcha, du Kouara et
de l’Armatcho, il devait naturellement hériter de sa
puissance. Conefo, fils de sa propre soeur, qu’il avait
dotée et mariée à un de ses vassaux, le supplanta
par surprise. Woldé Teklé se maintint quelque temps
en rébellion, mais après plusieurs combats malheureux,
il tomba entre les mains de son neveu Conefo,
qui, après l’avoir tenu captif plusieurs années, le Lia
à lui par serment, le remit en liberté et lui donna
un fief important. À la mort de son frère, le Dedjadj
Gabrou, Conefo sentit se réveiller des doutes sur la
fidélité de son oncle; les devins lui prédisaient à luimême
une fin prochaine; son intrépide frère ne serait
plus là pour protéger ses deux fils, lima et
Mokouannen, contre l’ambition légitime de leur grand-
oncle ; enfin, sa maladie s’aggravant, sans provocation
de la part de Woldé Teklé, il ordonna qu’on lui
crevât les yeux. Soit maladresse, soit connivence du
bourreau, cette terrible exécution fut mal faite : Conefo
mourut quelques jours après, et Woldé Teklé
guérit; ses paupières seules restèrent mutilées. Il se
rebella contre ses petits-neveux; mais avant la bataille
de Konzoula, il se joignit à eux, disant qu’après
tout, ces enfants étaient siens, et que, dùt-il éprouver
leur ingratitude, il lui convenait de les défendre
contre un prince étranger. Echappé de leur défaite,
il parcourait le Dambya, où il était tres-populaire,
mais sans pouvoir faire prendre sa cause au sérieux.
A quelques jours de là, nous apprîmes en soupant
qu’il venait de s’arrêter à un village près de Gondar,
et nous- fûmes en selle immédiatement. Au point du
jour, nous atteignîmes ses traînards; il avait encore
déguerpi et s’était réfugié sur les terres du Wôgara,
province de la mouvance d’Oubie. En revenant de
cette course, nos soldats harassés obliquèrent vers
Gondar, où ils espéraient que Birro leur permettrait
de se faire héberger une nuit; mais il envoya des cavaliers
pour garder les avenues de la ville et passa
outre. Il m’accorda un congé de quelques jours pour
revoir le Lik Atskou.
Quoique je n’eusse avec moi que deux cavaliers et
six fantassins, les habitants de Gondar, déjà alarmés
par le voisinage de Birro s’émurent à mon approche .
le harnais en Vermeil et la housse écarlate de mon
cheval me firent prendre pour quelque haut personnage
qui serait bientôt suivi de soldats turbulents et