Quand j’appris au Sultan que nous allions quitter
Toudjourrah, il me témoigna son contentement de
me voir partir, et ne put s’empêcher de m’avouer
qu’il était malheureusement à la solde des Anglais,
et que ni lui ni ses compatriotes n’étaient plus les
maîtres chez eux; et comme il ne se trouvait pas de
barque libre, sur-le-champ, il nous en nolisa une
d’autorité. Le vieux Saber était tout triste.
—- Va, mon fils, me dit-il. A choisir, j’aimerais
mieux votre position que celle de tous ces gens; et
il y a ici plus d’un honnête musulman qui pense
comme moi. J’espère vivre assez pour pouvoir passer
la mer et me retirer dans le pays de mes pères, où
l’hospitalité et le culte des aïeux sont encore pratiqués.
Va; qu’Allah te guide! Respecte les vieillards
comme tu l’as fait en moi ; et la terre reverdira sous
tes pas.
En parlant ainsi, il m’accompagna jusque loin de sa
maison; il dut s’asseoir sur une pierre pour se reposer;
et je m’éloignai de lui pour toujours.
Dès que les effets furent embarqués, les partisans
du Sultan manifestèrent leur joie; les hommes du parti
contraire restèrent dans leurs maisons, et je fis parmi
eux ma tournée d’adieu. Deux hommes seulement eurent
le courage de nous faire la conduite jusqu’à notre
barque.
Les plateaux de la haute Éthiopie, dont l’accès se
hérissait pour nous de difficultés, devinrent à mes yeux
comme une terre promise. Le serment qui’me liait au
Dedjadj Birro m’incitait à de nouveaux efforts ; et avec
l’énergie ët l’abnéghtion que donne l’âge où nous étions,
nous décidâmes de tout effronter, plutôt que de renoncer
à notre entreprise. Je proposai cependant à
mon frère de rentrer en France pour y rétablir sa vue,
mais il ne voulut rien entendre, et me répondit que
dût-il se fairê conduire et sonder le terrain avec un
bâton, il marcherait devant lui.
Nous mîmes à la voile le 12 mai 1841. Un fort vent
du sud nous fit franchir le détroit de Bab-el-Mandeb ;
et quatre jours après, nous abordions à Hodeydah, dans
l’Yémen.
FIN DU PREMIER VOLUME.