Cependant, les Atsés, dans leur toute-puissance,
devinrent la proie des soupçons- et des inquiétudes,
maux ordinaires de la tyrannie. Quoique mutiléés et
enchaînées, la famille, la commune et la province
soubresautaient encore; elles pouvaient se redresser.
La confiance entre gouvernants et gouvernés avait
disparu; les Atsés ne conférèrent plus l’autorité sous la
seule garantie de la foi jurée. Ils la répartirent à courte
échéance et la déplacèrent incessamment, tant ils craignaient
qu’elle ne prît racine ailleurs qu’au pied du
trône. En conséquence, ils soumirent à une révision
annuelle toutes les charges et toutes les fonctions, à
quelque degré qu’elles, fussent. A l’esclave de la veille
ils donnaient le commandement, reléguant parfois le
maître à n’importe quel bas rang, et, comme les défiances
surgissaient jusqu’autour du foyer impérial,
ils soumirent à la révision leur personnel domestique.
Leurs valets, les plus infimes serviteurs, leurs pages,
leurs parents, leurs concubines, nul ne prenait rang,
qualité ou position, qu’en passant sous le joug périodique
de la volonté du maître. Les Polémarques, qui se
sont partagé les lambeaux de l’Empire et dont l’autorié
est encore plus illégitime et plus précaire que celle des
Empereurs, gouvernent comme eux, et pour les mêmes
raisons; et, chaque année, ils font la révision de toutes
les investitures émanant d’eux ; tous leurs subordonnés
font une opération analogue, chacun dans le rayon de
son autorité. On comprend la crise qu’amènent ces
désagrégations et réagrégations périodiques : tous les
pouvoirs sont déposés, et le gouvernement reste comme
suspendu pendant quelques jours.
Au point où l’ont réduit ces malheureuses transformations
politiques, il n’y a aujourd’hui dans le
pays que deux catégories de citoyens : celle qui
comprend le clergé, les cultivateurs, les trafiquants
et les industriels, et, au-dessus, celle des hommes
de guerre, qui exercent le pouvoir. Ceux-ci exploitent,
pressurent, ruinent la portion stable et foncière.
.»Les citadins et les cultivateurs surtout s’épuisent à
subvenir aux besoins d’une population errante de
gens de guerre oisifs, turbulents et dépensiers, investis
annuellement par le Polémarque du droit de
pressurer des vassaux, et les traitant d’autant plus
âprement que leur autorité est révocable et passagère.
L’Empire éthiopien était divisé en polémarchies,
diverses par leur étendue et leur importance, et
conférant à celui qui en était investi un titre de
polémarque, celui de Ras, de Dedjazmatch ou autre.
On a vu que ces Polémarques n’étaient à l’origine
que des chefs militaires, qui, sitôt la campagne finie,
ne conservaient que des pouvoirs insignifiants. Conformément
à l’us féodal, qui veut que la terre confère
sa valeur à l’homme, depuis la chute de l’Empire,
ceux qui ont pris possession de ces polémarchies,
n’importe par quels moyens, ont pris en même temps
les titres et les insignes honorifiques dont étaient revêtus
leurs prédécesseurs régulièrement investis.
Pour devenir Polémarque, il suffit d’être investi
d’une polémarchie par un Polémarque d’un ordre
supérieur dont on devient le vassal, ou bien il faut
s’être emparé par la force d’une polémarchie. Les
moeurs militaires veulent que, dans le cas où un
homme qui n’est pas encore Polémarque s’empare
d’une polémarchie, il n’en prenne le titre qu’après
s’être rendu maître des timbales de son rival ou de
celles d’un autre Polémarque. Les titres de Ras,
Dedjazmatch et autres Polémarques sont à la fois
des dignités et des grades; ils sont'personnels, in