devant lui quelque trophée, lui dire en finissant son
thème de guerre :
— Tiens, voilà ce que je sais faire !
Cette longue digression à propos de la retraite que
nos 900 cavaliers effectuèrent malgré un ennemi plus
du double en nombre, permettra de considérer sous
leur vrai jour ce fait de guerre et ceux que nous aurons
occasion de rapporter dans la suite. L’ennemi nous tua
neuf chevaux; il en perdit environ autant; nous eûmes
une vingtaine de blessés, mais on estima que les cavaliers
gallas avaient moins souffert. Chacun des nôtres
avait fait son devoir; quelques cavaliers Vêtaient signales
d une façon particulière. Comme on le pense, je
n eus pas les honneurs de cette journée; mon apprentissage
de la guerre commençait à peine. Je m’étais
appliqué, depuis G-ondar, à relever exactement à la
boussole toutes mes routes et les points saillants qui les
bordaient, à régler fréquemment mon chronomètre au
moyen de hauteurs correspondantes du soleil, à prendre
des distances lunaires, et à faire journellement vingt
et une observations météorologiques. Mais peu avant
notre excursion au monolithe, notre armée étant en
marche, l’approche de l’ennemi me contraignit à
monter précipitamment à cheval, et en franchissant le
lit rocheux d’un torrent, ma boussole de relèvement
s’échappa de ma ceinture et roula sur les pierres. Au
camp, je m’aperçus que le pivot de l’aiguille s’était
faussé. Dès lors, mettant de côté boussole, chronomètre,
sextant et écritures, je suivis sans remords mon inclination
pour la vie militaire.
Cependant l’hiver débutait; nous étions [au mois de
juin. Durant les matinées,- le tonnerre grondait fréquemment;
le ciel était devenu morne, et les ondées,
de plus en plus abondantes, rendaient pénible la vie de
camp; aussi l’armée se montrait-elle impatiente de
prendre ses quartiers d’hiver. Nous campâmes^ en
Kouttaïe ; les chefs de ce pays avaient reçu, dès l’ouverture
de la campagne, l’aman du Prince, et les habitants
vinrent nous vendre des chevaux, des ânes, du
grain, des toges, du beurre, du miel et des poules.
Conformément à ce que le Prince m’avait dit à
Dambatcha, je lui demandai à hiverner chez ces Gallas.
Il ne voulut pas en entendre parler; tout ce que je pus
obtenir fut de profiter des quelques jours que nous
a v i o n s à rester dans le pays, pour m’installer chez un
notable du district que nous occupions.
Le peu de temps que je passai à un foyer galla accrut
mes sympathies pour ce peuple libre, simple et
attrayant, ainsi que mon désir de.le visiter plus à loisir..
L’armée, inquiète relativement à la crue de l’Abbaie,
. accueillit mon retour avec de grandes démonstrations
de joie. La plupart des soldats me tenaient pour un
conjurateur d’une puissance d’autant plus exceptionnelle
que je venais de loin, et ma curiosité de visiter les
Gallas n’ayant pas paru expliquer suffisamment mon
absence du camp, ils avaient conclu que j’étais allé
jeter dans. le fleuve quelque charme théurgique.
Après m’avoir plaisanté toute la soirée sur le
rôle qu’on m’attribuait, le Prince me dit .
En tout cas, te voilà adopté par mes soldats;
tu es devenu pour eux nécessaire à leurs succès,
comme tu l’es à notre maison.
L’armée salua de hourras le ban réglant l’ordre
de marche pour le lendemain. Le Dedjazmatch prit
en personne le commandement de l’arrière-garde,
composée de six à sept cents hommes. A moitié
chemin de l’Abbaïe, voulant donner à de nombreux
traînards- le temps de rejoindre, il mit pied à terre