496 DOUZE ANS DE S É JO U R
affamés. Mais on se rassura en me reconnaissant, et
je regagnai sans incident mon ancienne demeure, où
j’avais vécu en moine et où je rentrais en soldat.
Le bon Lik Atskou me reçut avec effusion, mais,
après m’avoir considéré, il hocha tristement la tête
en disant:
— Mon fils, tu as bien fait parler de toi depuis
que tu m’as quitté. On ne réfléchit guère à cheval.
As-tu assez songé aux conséquences de ta conduite?
Tes deux princes ont reçu de leurs ancêtres une
lourde dette à acquitter devant Dieu et devant les
hommes; n’as-tu pas craint d’en devenir solidaire,
toi qui es sans racine dans notre pays et de passage
seulement? Car tu ne peux avoir renoncé à
ta patrie, terre de vérité, de justice et de science.
Un fait futile en apparence se présente à nous autres,
vieillards, avec toutes ses conséquences; aussi suis-je
peiné des changements que je vois dans ton costume :
ta poitrine n’est plus recouverte d’une, tunique, tu te
contentes de notre toge, tes jambes sont nues, tu
marches sans chaussure, tu n’as plus dans le vêtement
cette retenue qui te distinguait de nous, tu as
quitté pour le nôtre le costume de tes pères. Ce changement
m’en fait craindre bien d’autres dans tes idées.
Prends garde, mon fils, en te détournant des traditions
qui ont étayé ta première jeunesse, de nuire à ton
âge mûr.
Je m’efforçai de rassurer mon austère et bienveillant
conseiller; mais sa défiance était en éveil;
mes protestations ne parurent l’apaiser qn’à demi.
Le lendemain, il me conduisit à son église de
prédilection pour remercier Dieu, disait-il, de mon
heureux retour.
- La forme des églises en Éthiopie est presque toujours
celle d’un périptère circulaire; les murs, en
pierre brute et en bousillage, sont enduits d une couche
de teri’e blanche ou jaune; les embrasures sont en
menuiserie, les colonnes en bois et le toit en chaume.
Au centre, une énorme colonne tronquée et creuse
renferme le sanctuaire; de sa base formée de quatre
murs à hauteur d’épaule, orientés aux quatre points
cardinaux, se dégage un fût carré, rond quelquefois,
qui monte jusqu’à la partie centrale du toit auquel il
sert d’appui; au milieu de chaque face s’ouvre dans
l’intérieur de la colonne une porte dont la partie
supérieure est dans le fût et dont le seuil s appuie sur
des marches de bois dans la base. A quelques mètres
de ce sanctuaire court un mur qui l’enclave de façon
à former une enceinte circulaire ; ce mur n a d autre
ouverture que quatre portes établies en face de celles
du sanctuaire,'et il est enclavé à son tour par une
espèce de péridrome ou galerie extérieure formée de
colonnes ordinairement en bois. La portion inférieure
des entre-colonnements est souvent garnie d’un treillage
en roseaux. Ces trois enceintes sont couvertes
par un vaste toit en chaume, très-épais, de forme conique,
dont le centre s’appuie sur le fût tronqué du
sanctuaire, et le pourtour sur les linteaux de la colonnade.
Ordinairement une grande croix grecque se
dresse sur le sommet de ce toit, et des oeufs d autruche
sont embrochés à quelques-uns de ses croisillons;
sur les églises riches,' cette croix est en cuivre
doré et scintille au loin. Des troupes de tourterelles
nichent dans les boulins du mur de l’église ; pendant
les oi. ces même, elles circulent impunément dans
l’intérieur, et personne n’oserait les molester, soit dans
le cimetière, soit même au dehors. Les quatre faces.
externes du sanctuaire et le mur de 1 enceinte qui
32