tionner et de se départir de son ancienne forme
de gouvernement impérial. Les coalises victorieux
mettaient en avant la nécessite de restaurer le
vieux droit coutumier, et, à l’instigation de leur
principal chef, le Ras ou Polémarque du Tegraïe, ils
choisirent pour Atsé un agnat impérial d’une nullité
notoire; et le laissant dans Gondar sans revenus,
sans gardes et sans autorité, ils se retirèrent
dans leurs provinces, désunis et comme honteux
de leur victoire. Quant aux grands vassaux qui
.avaient combattu avec l’Empereur détrôné, les uns
étaient tombés en captivité, les autres, sous la conduite
des chefs du Gojam, ayant pu regagner leurs
gouvernements, s’y fortifièrent dans 1 attente des
événements; les Dedjazmatchs restés neutres suivirent
cet exemple, et au_ printemps, l’Ethiopie se trouva
toute hérissée d’hommes en armes. La restauration
de l’ancien Empire avec les coutumes servait de
mot d’ordre aux coalisés et à leurs adversaires.
Mais, aux lueurs des premiers incendies, les masques,
tombant, ne laissèrent apparaître que convoitises
et ambitions personnelles. Malheureusement, le
peuple était en haleine de guerre; les provinces se
ruèrent les unes contre les autres et donnèrent le
triste spectacle de partis qui s’entredéchirent au
nom de l’ordre et de la justice dont les représenr
tants sincères manquaient partout. Ces partis ne
tardèrent pas à se fractionner, à se multiplier, et
la guerre civile fut endémique. De localité à localité,
les communications devinrent dangereuses ou cessèrent
tout-à-fait: le commerce, les échanges journaliers
ne se firent plus que les. armes à la main,
et pendant que Ras, Dedjazmatchs et chefs a tous les
degrés s’alliaient, se trahissaient et se heurtaient
au centre de l’Empire, les incursions étrangères en
rétrécissaient encore les frontières. Les paysans ne
s’occupant plus que de combat ou de pillage, la
culture des terres fut abandonnée ou laissée aux
femmes et aux enfants ; des famines contribuèrent
au dépeuplement ; les hernes, ou terres abandonnées,
s’étendirent de plus en plus ; les bêtes féroces prenaient
la place des habitants; les troupeaux disparaissaient,
et des bandes de soldats sans maîtres,
espèces de miquelets, prêts à passer au service du
plus offrant, épouvantaient le pays par leurs sauvages
excès. Ce fut alors, dit-on, qu’on substitua au
terme générique désignant le militaire, l’homme de
guerre, le mot Wattoadder qui le désigne aujourd’hui,
et dont l’étymologie signifie un homme sans feu ni
lieu. On s’égorgeait aux cérémonies funéraires, aux
mariages, devant les tribunaux, aux portes des églises;
le parjure et toutes les violences devinrent les
moyens; les jouissances immédiates, l’unique but;
et comme une société, si bas qu’elle soit tombée, a
besoin pour vivre, de quelques vertus, au milieu
de ce débordemént de tous les appétits mauvais,
le bien se mêlait au mal, et des éclairs d’héroïsme
illuminaient fréquemment ces sinistres perspectives.
La conscience publique se pervertit promptement
au spectacle des accouplements de vertus et de
crimes. S’il faut en croire les Ethiopiens, ils se
seraient accoutumés, dès cette époque seulement, à
établir avec la morale de déplorables compromis
qui n’excitent plus chez eux aujourd’hui que la réprobation
de quelques austères penseurs, toujours
rares en tous pays.
Le clergé séculier, de son propre aveu, avait
contribué puissamment^ par ses erreurs et son indis