une petite file de piétons. J’allai avec mes deux cavaliers
les reconnaître : c’était une trentaine de messagers
et de gens pressés par leurs affaires, qui afin de ne
point tenter la cupidité des paysans, voyageaient sans
armes et vêtus de haillons; ils se dispersèrent pour
aller se cacher dans les fourrés. Voyant parmi eux un
Européen, qui arpentait résolument le terrain, je lui
coupai la retraite, et je ne fus pas peu surpris de reconnaître
maître Domingo, le domestique basque de mon
frère, que j’avais laissé à Gondar. Nous fûmes
aussi contents l’un que l’autre de nous retrouver.
Pour la première fois, depuis longtemps, je pus entendre
parler le français, mais, dans les premiers
instants, ma langue déshabituée me refusa son service
si ce n’est en amarigna. Les bruits les plus extravagants
couraient à Gondar sur D mon compte : les uns•
disaient que j’étais parmi les b l e s s é s , d’autres parmi
les morts; tous donnaient à mon aventure une tournure
faite pour alarmer mes amis. Afin de fixer ses incertitudes,
et, s’il était possible, d’atteindre notre
camp, le bon Domingo avait profite de cette petite
caravane, en ayant soin de s’affubler de la façon la
plus misérable.
Le Dedjadj Birro s’était établi a Kobla, dans le
Dambya, sur un mamelon pierreux qu’entouraient
les campements de ses chefs; il n’avait guère avec
lui plus de 12,000 hommes. En entrant dans le camp,
je ne pus m’empêcher de regretter celui de Monseigneur,
où le dernier goujat m’accueillait du geste
ou du regard. Ici, j’étais presque un étranger .
au lieu de pénétrer librement jusqu’à la tente
du chef, je dus subir la filière des huissiers de service;
mais l’èmpressement avec lequel l’un d’eux
vint me prier d’entrer, allégea ma pénible impression.
Birro se leva pour me recevoir et m’embrassa :
marque d’honneur dont il était très-avare. Il me
fit asseoir à ses côtés, et, après les premières questions
:
— Qui t’a escorté jusqu’ici? me dit-il.
— Personne.
— Par la mort de Guoscho ! Je reconnais là mon
père.E
t se tournant vers quelques seigneurs :
— Voilà bien l’imprévoyance de Monseigneur
ajouta-t-il. Il a toujours besoin de quelqu’un qui
pense pour lui. Mes soldats osent à peine circuler
dans ce pays, et il laisse venir Mikaël jusqu’à moi
sans escorte, quand il eût donné' tout au monde
pour le retenir auprès de lui !
Birro me recevait dans une hutte construite en
roseaux, ronde, d’environ sept métrés de diamètre,
conique par le haut, et entièrement revêtue dun
chaume épais. Elle n’avait pour ouverture qu une
porte basse et étroite, et quoiqu’en p.lein jour, l’obscurité
y eût été complète sans quelques torches tenues
par des pages.
Les chefs ont l’habitude, lorsqu’ils doivent passer
quelques jours dans un campement, de faire construire
une hutte contiguë à leur tente, qui sert alors
comme d’antichambre. Cette précaution devient surtout
nécessaire dans le Dambya où, pendant une
partie de la belle saison, les mouches sont en si
grande quantité qu’on a de la peine souvent à ne
pas en avaler à chaque bouchée. Dans quelques localités,
elles constituent un véritable fléau pour les
hommes et pour, les animaux; une espèce surtout,
armée d’un fort aiguillon, désespère les chevaux et
les boeufs au point de les rendre intraitables. Le