tions; son marché hebdomadaire, le plus important
de l’Ethiopie, y attire des caravanes de toutes les
parties de l’intérieur; aussi, avions-nous désiré d’en
faire le point central de nos entreprises. En entrant
en ville, nous nous fîmes conduire à la maison d’un
des quatre Likaontes ou grands juges impériaux,
nommé Àtskou, qui passait pour aimer les étrangers
et surtout les Européens.
Le Lik Atskou, qui parlait un peu l’arabe, vint
nous accueillir sur le seuil de sa maison. C’était un
homme d’environ soixante-dix ans, grand, d’une belle
prestance, ayant le teint très-foncé et une physionomie
douce et intelligente; il insista pour nous
défrayer, nous et notre monde; et ce fut à grande
peine que nous obtînmes le troisième jour de
vivre désormais du nôtre. Mais il ne voulut jamais
consentir à nous laisser chercher un logement ailleurs.
— Vous venez de bien loin, mes pauvres enfants;
nous d it- il, et les hommes de notre ville sont si
rapaces à l’égard des étrangers ! C’est à moi de vous
garder tant que vous resterez à G-ondar.
Nous chargeâmes le soldat d’Oubié d’un .message
de remercîment pour son maître, et nous le congédiâmes
en lui donnant, selon l’usage, une mule et
quelques talari.
Durant notre séjour forcé dans la plaine d’Igr-
Zabo, nous avions eu tout le loisir de réfléchir;
l’expérience modifiait déjà nos opinions préconçues;
la première effervescence commençait à s’apaiser, et
notre voyage nous apparut sous des' faces nouvelles.
De Moussawa à Gondar, nous avions minutieusement
relevé le pays à la boussole, mais les attractions
magnétiques causées par la nature ferrugineuse
du soL introduisaient dans ce travail des incertitudes
dont les voyageurs feraient bien de se préoccuper
davantage. Mon frère, reconnaissant d’ailleurs
l’insuffisance de ses instruments, conçut l’idée de
jeter les fondements d’une carte exacte du pays par
la méthode qu’il appelle Géodésie expéditive, et il résolut
de retourner en France pour se procurer des
instruments qui n’avaient été jusque-là employés
d’une manière continue par aucun voyageur en pays
inconnus. On sa it, en effet, que la plupart des cartes
de,ces pays sont rédigées tant bien que mal au
moyen de journées de route, malaisées à bien estimer'
et corrigées, le plus souvent au hasard, par des
observations astronomiques trop rares et qu’il est
impossible de contrôler. D’autre part, des marchands
d’esclaves venus de l’Afrique centrale nous ayant assuré
qu’en Innarya coulait un fleuve large comme
le fleuve Bleu et dont les eaux se déversaient dans le
bassin de l’Ëgypte, il fut -convenu que durant l’absence
de mon frère, j’irais au moins jusqu’à Saka,
capitale de l’Innarya; et pour mieux utiliser mon
voyage, je m’exerçai sous sa direction à faire les
observations d’astronomie nécessaires pour déterminer
la position d’un lieu, ainsi que les observations
météorologiques à continuer jusqu’à son retour. Nous
étions au mois de juin; on entrait dans la saison des
pluies hivernales; les chemins sont alors impraticables,
les lits desséchés des ruisseaux, des torrents
et des rivières s’emplissent et deviennent souvent
autant d’obstacles dangereux; d’ailleurs, le Takkazé,
qui ¡sépare le pays de Tigraïe de celui de l’Amhara
est infranchissable pendant sa crue, qui dure depuis
le milieu du mois de Sénié, correspondant aux
derniers jours de notre mois de juin, jusqu’au milieu