centre, car les ennemis l’ayant chargé en force une fois
dans l’intention de nous couper, s’en détournèrent à
portée de traits et ne s’attaquèrent plus qu’à l’avant
ou à l’arrière-garde. Le terrain devenait-il mauvais,
ils nous précédaient à droite et à gauche et nous
attendaient plus loin. Nous fîmes ainsi retraite, au
milieu d’attaques, de contre-attaques, de feintes, de
ruses et de surprises réciproques, chaque accident
de terrain donnant lieu à des manoeuvres d’une
physionomie nouvelle. Après des tentatives infructueuses
contre l’avant-garde, l’ennemi essaya d’entamer
-l’arrière-garde, en la chargeant obliquement
des deux côtés à la fois. Jusque là, le Dedjazmatch
était resté à mule; il monta à cheval, quitta sa
toge, et, le front haut, bouclier et javeline en mains
avec une trentaine de cavaliers, il se porta en première
ligne sur les points les plus menacés. Son calme,
ses allures fières et résolues suffisaient à faire reconnaître
en lui le chef princier de tous ces combats
qui tourbillonnaient dans la plaine; ses grands yeux
étaient fixes, sa lèvre frissonnante souriait de ce
sourire particulier à l’homme énergique qui s’anime
tout en méprisant le péril. Deux ou trois fois,
passant à côté de nos fantassins, il leur cria %
— Bon pas et courage! nous ne vous laisserons
pas ici.
Nos escarmoucheurs se multipliaient pour refuser
à l’ennemi toute prise sérieuse. Parfois, une troupe
compacte de trente à quarante Gallas s’élançait pour
couper un peloton de six à huit cavaliers; un parti
des nôtres s’élançait au secours ; l’ennemi se dérobait
en demi-cercle, fuyait penché sur ses chevaux
et se couvrant de ses boucliers ; un autre parti ennemi
contre-attaquait ; les nôtres voltaient, fuyaient vers
nous, étaient secourus, et, lorsque des jouteurs de
l’un ou de l’autre parti échappaient à grand’peine,
de toutes parts on applaudissait par des hourras.
Il était beau de voir, autour de cette petite troupe
de fantassins, les cavaliers Gallas' et Gojamites fourmillant
dans la plaine, s’épier, s’interpeller, se charger,
se fuir, s’entremêler et se disjoindre au galop
furieux de leurs chevaux; et les courbes»gracieuses
que les javelines décrivaient dans l’air, et le bruit
sourd des boucliers qu’elles déchiraient; les thèmes
de guerre, les cris, les injures, les hourras, et la
fougue intelligente des chevaux, qui, les crins au
vent, les naseaux bas, passaient et repassaient, en
faisant résonner le sol. Par moments, on eût dit de
gais carrousels en l’honneur du Prince. Une expérience
savante présidait à tous ces mouvements, si
désordonnés en apparence.
Nous arrivâmes enfin près d’un bois qui devait
nous mettre à couvert pendant plus d’un kilomètre.
Un grand nombre d’ennemis prirent les devants
pour nous en disputer l’entrée. Nos fantassins s’avancèrent
résolument avec la cavalerie aux ailes; nos
fusiliers firent leur première décharge, et, quoiqu’elle
fût peu efficace, les Gallas se dérobèrent à droite
et à gauche, et à l’orée du bois, nous fîmes une
halte dont nos chevaux et surtout nos piétons avaient
grand besoin. Peu après, nous traversions une no-
vale hérissée de souches fraîchement coupées qui
forçaient nos chevaux à changer de- pied à tous
moments. Une pesée ^inégale sur les étriers fit tourner
ma selle'; je roulai à terre; mon cheval s’échappa
du. côté de l’ennemi, évita d’abord la chasse que
lui donnèrent Gallas et Gojamites et fut repris par
un des nôtres. Un groupe de cavaliers était venu
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