ligne, prêtes à désaltérer et à secourir lés blessés.
Dés amis s’entredisaient à distance : « Bonne journée
et au revoir ! »
Quelques prêtres, une petite croix de bois à la main,
allaient <Jà et là en marmottant des oraisons; des
cavaliers s’arrêtaient, et, sans quitter la selle, courbaient
la tête, en disant :
« Père, absolvez-moi ! »
Une grosse servante demanda aussi l’absolution,
' et, voyant qu’on la donnait de préférence aux hommes,
elle empoigna le prêtre par la toge et lui cria sous
le nez :
« Mon père, gare à vous, je. vous laisse tous
» mes péchés sur le dos; je vais au combat, moi! »
Plus loin, une bande de six ou sept cents rondeliers
rejoignaient au pas de course; ils posaient à terre
boucliers et javelines, resserraient .leurs ceintures et
ceinturons, ' et, alestis pour le combat, repartaient
• pleins d’entrain, pour grossir le front de bataille,
ayant en tête un coryphée chantant un refrain guerrier
.U
n gros homme à pied s’en allait, effaré, demandant
où était, son cheval.
« Mais tu es dessus, ’ bonhomme, lui répondait-
on en riant; va. va, tu l’as bridé par la queue. »
Les goujats entassaient en monceaux les toges
des combattants. Les pages étaient partout, criaillant,
observant la contenance de chacun, et tâchant
de surprendre quelque cheval ou quelque mule de
selle, pour l’enfourcher et se porter,; pendant le
combat, partout où il se présenterait quelque bon
coup à faire. Quelques-uns de ces enfants, la toge
enroulée autour du bras gauche en guise de bouclier,
et une petite javeline à la main, nus et grelottant,
allaient se poster à l’arrière-ligne, rappelant
ainsi les habitudes des enfânts de la Grèce
ancienne.
Certains rondeliers, d’une intrépidité reconnue,
se rendaient à leur poste, en se carrant et en brandissant
leur javeline ; d’autres s’en allaient, chacun
roulant un air guerrier qu’il interrompait pour s’écrier
: '
« Hammarr zorroff! 0 moi, fils de gentille mère!
» Voici enfin l’heure des vrais lurons, ma seigneu-
» rie, à moi, porte haillons ! »
Ou bien :
«Zorroff! Ne suis-je pas l’épervier des batailles?
» venez, venez, mes vautours, vous n’attendrez pas,
» je vais vous faire de la nourriture. »
Ils ne reconnaissaient personne, ils n’entendaient
plus, ils savouraient déjà l’ivresse dè la bataille. On
frissonnait de plaisir en les voyant, comme aussi lorsque
passaient les Tacho-Negoussé, les Chalaka Beutto,
et Gouangoul-Abrouïë, Gouomté-Kassa, Hallé-Alel-
tou, Beutoul-Andawa, Haïlou-Mariam, Chalaka Gue-
bré-Mikaël, Birro Guébia , Andawà-Libo, ' Tacho-
Méniwabe, Gouxa Faradé et lé sanguinaire Gouolem-
datch, tous cavaliers célèbres, redoutés au loin; les
uns muets, t livides et sinistres sur leur selle ; les
autres ricànant et mâchonnant leur thème de guerre.
Tous avaient le brassard d’honneur au poignet droit;
quelques-uns portaient une pèlerine de guerre faite
en crinière dé lion ; d’autres s’en allaient les épaules
et la poitrine nues. Les chevaùx dénotaient la résolution
des maîtres. Les poétesses proclamaient ces
rudes hommes, les interpellaient et accolaient à leur
épithète de tendresse familière :
« 0 ma prunelle, disait l’une, je veux mourir