et à des contestations dont les trafiquants et surtout les
étrangers paient les frais. Pour m’être agréable, le
Bahar-Negach exigea que, par exception aux règles
établies par les Sahos, je pusse choisir parmi eux le
guide qui me conviendrait, avec la faculté de le payer
au taux des indigènes; de plus, il me donna son fils
aîné, nommé Ezzeraïe, pour m’accompagner durant le
voyage.
Parmi les croyances superstitieuses de l’antiquité
qui ont cours dans le Tegraïe, on trouve celle de l’aus-
picfne ou divination par le chant et le vol des oiseaux.
Chemin faisant, mon-guide Abdallah, me signala"à
plusieurs reprises des augures de ce genre qui, selon
lui, m’annonçaient que notre voyage serait des plus
heureux et qu’à la côte je trouverais un ami intime
ou un parent. En deux jours, j’arrivai à Moussawa.
Mon attirail et celui de mes gens excitèrent la curiosité
des habitants- de l’île : je ne possédais d’autre
vêtement que le costume éthiopien que je portais, et
je sentais combien il devait contraster fâcheusement
avec le costume bien plus civilisé des autorités turques
que j’allais avoir à visiter. Néanmoins, en arrivant,
je me présentai chez le gouverneur Aïdine Aga. Il vint
au devant de moi jusqu’à la porte de son divan et
m’accueillit avec cette politesse exquise qui caractérise
les Osmanlis de la vieille école, et qui semble devoir
disparaître avec eux. Je ne fus pas plus tôt installé
dans mon logement, que des esclaves d’Aïdine -vinrent,
m’apporter, avec ses compliments, des rafraîchissements
et deux costumes turcs complets. J’égayais
encore mes gens en faisant l’inventaire de ma garde-
robe, si nouvelle pour eux, lorsque des pas précipités
me firent lever la tête, et je me trouvai dans les-bras
de mon frère Antoine.
J’arrivais des pays des dallas;-mon frère venait de
Paris, de Londres et de Rome, et malgré les ineer-.
titudes que comportent deux voyages aussi longs,
nous étions à trois heures près, exacts au rendez-vous
pris en nous séparant à Gondar vingt mois auparavant;
nous nous étions quittés au commencement de
juillet 1838, et nous nous retrouvions à Moussawa en
février 1840. Aïdine Aga et les notables de Moussawa
virent dans cette exactitude l’oeuvre de quelque génie
protecteur, et ils parlèrent longtemps de notre rencontre
comme d’un fait surnaturel; mon guide Abdallah
n’y vit qu’une preuve de plus de l’infaillibilité
des augures.
Après quelques jours passes à nous raconter mutuellement
nos aventures, nous arrêtâmes notre plan
de voyage. Il fut convenu que nous irions a Gondar,
que mon frère passerait quelques mois, tant dans cette
capitale que dans les provinces voisines de l’Ouest, en
deçà de l’Abbaïe, tandis que je retournerais en Go-
jam, où ma liaison avec le Dedjadj Guoscho, qui tenait
alors la cour la plus policée de l’Éthiopie, m’offrait
une occasion exceptionnelle pour me perfectionner
dans la langue Amarigna et m’initier aux moeurs,
aux affaires, aux us et coutumes du pays. Mon
frère, qui s’était chargé de . la partie scientifique
du voyage, devait selon l’opportunité de ses travaux
me rejoindre en Gojam, d’où, appuyés de la protection
du Dedjadj Guoscho, nous comptions passer
en pays Galla, gagner l’Innarya et revenir sui
410s pas ou nous ouvrir une route nouvelle vers un
point plus central de l’Afrique, pour rentrer ensuite
en Europe.
Nous fîmes nos adieux au bienveillant Aïdine
Aga, à qui j’avais rendu ses costumes trop étroits