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griefs imaginaires, et le prince décida l’expulsion des
Européens. Quelque despotique que soit un pouvoir, il
tient à l’approbation de ses subordonnés, et, si elle lui
échappe, il fait tout pour en avoir au moins l’apparence.
Le prince et les courtisans firent valoir que les
principes de la religion protestante étaient subversifs
de la foi nationale; l’esprit public s’émut alors, appuya
les imputations les plus absurdes, et les mesures rigoureuses
reçurent la sanction de tous.
Les habitants d’Adwa nous regardaient d’assez bon
oeil, mais j’étais inquiet de ne pouvoir être admis chez
le Dedjadj Oubié. Mes démarches aboutirent enfin. Je
me procurai un drogman parlant arabe et amarigna,
et je mie rendis au camp.
Comblé de présents par les Allemands, le prince
n’avait rien à attendre de voyageurs sans bagages et
pauvres en apparence; néanmoins, par l’effet d’un caprice
peut-être, il me, reçut poliment, et me demanda
ce que je venais faire dans son pays.
— Je viens, dis-je, respirer l’air de vos montagnes,
boire l’eau de vos sources et chercher à contracter des
amitiés parmi vous.
* — Et que viennent faire tes compagnons, celui resté
à Adwa et ceux que tu as laissés à Moussawa?
—- Un de nos compagnons, lui dis-je, m’a quitté à
Halaïe pour s’en retourner au-delà de la mer; mon frère
étudie les airs, les eaux et les étoiles ; il est a Moussawa
avec un domestique français et tous nos bagages, attendant
votre agrément pour entrer dans votre pays;
quanta mon compagnon d’Adwa, il est venu comme
moi pour fraterniser avec vos sujets. &i vous le trouvez
bon, je vais retourner à'Moussawa pour annoncer a
mon frère votre accueil bienveillant, et l’amener devant
VOUS;
— Vis en sécurité, me dit le prince, après m’avoir
considéré quelques instants; j’accueille volontiers
les étrangers, pourvu qu’ils ne tentent pas d’altérer
la foi et les coutumes de nos pères.
Et il me promit, en me congédiant, de donner des
ordres pour faire protéger notre caravane dès qu’elle
serait sur son territoire.
Je fus d’autant plus satisfait de cette première visite
au prince, qu’il avait résolu, à ce qu'il paraît, de ne
plus permettre à aucun Européen de séjourner dans
le Tigraïe. L’officier allemand et le naturaliste ne tardèrent
pas, en effet, à recevoir l’ordre de quitter le
pays; à force d’instances, ce dernier obtint un sursis;
il abjura ensuite le protestantisme, pour adopter
la croyance eutychienne,, et il vit encore dans le pays,
où il s’est marié.
— Je laissai le Père Sapeto à Adwa, et en trois jours,
j’arrivai à Halaïe, où je fus rejoint par mon frère.
Le transport des marchandises et bagages se fait à
dos de chameau dans le pays bas et .plat qui s’étend
depuis Moussawa jusqu’au pied du plateau où est situé
Halaïe; à partir de ce point, l’escarpement des rampes
rendant les services du chameau impossibles, on emploie
des porteurs ou des boeufs. Dans le Tigraïe et
dans tout le haut pays les transports se font à dos
d’homme, à dos [ de mule ou à dos d’âne, et l’uéage
du chameau est inconnu. Nous n’avançâmes désormais
qu’en relevant la route à la boussole; mon
frère se chargeait de ce soin durant la matinée, et
moi pendant l’après-midi; celui qui faisait ce travail
suivait la caravane à pied. Nous ne pouvions
' aller qu’à petites journées, car nos porteurs souffraient
de la chaleur : la saison d’hiver régnait à
Moussawa, mais depuis Halaïe, nous étions en plein