Par cette union, la Waïzoro Manann rétablissait
la suzeraineté de sa maison sur un des plus puissants
Dedjazmatchs; elle comptait, en outre, se faire
un appui de ce prince contre ses propres fils, le
Ras Ali et les Dedjadjs Imam et Haïlo, qui cherchaient
en grandissant à s’affranchir de son autorité;
elle renforçait son parti contre le Dedja'dj
Oubié, dont l’obédience nominale menaçait chaque
jour de se changer en hostilité ouverte ; enfin, considération
importante pour sa vanité féminine, elle
rehaussait à ses yeux l’humilité de son origine
par une .alliance avec un descendant de la famille
impériale.
Le jour fixé pour la présentation, le Dedjadj
Guoscho se rendit chez la Waïzoro Manann, et
bientôt le Fit-worari Tessemma, entouré d’une brillante
escorte, arriva sur la place. La Waïzoro
Manann profitant, pour l’examiner, du temps qu’on
mettait à l’annoncer, releva un coin du rideau tendu
devant son alga.
— Lequel est votre fils parmi ces cavaliers? dit-
elle au Dedjazmatch.
— Celui qui descend de la mule noire.
— Notre Dame de miséricorde! s’écria-t-elle;
mais c’est un garçonnet !
En effet, Tessemma, quoiqu’en âge de se marier,
avait l’air d’un adolescent ; il était bon cavalier et
représentait à cheval; mais, à pied, sa petite taille
et ses allures enfantines dissipaient l’illusion. Il
reçut néanmoins bon accueil : la Waïzoro fit circuler
l’hydromel, mais sans plus s’occuper de lui;
la collation terminée, elle congédia tout le monde
et demeura seule avec le Dedjazmatch.
— Le Lidj Tessemma, dit-elle, a bien l’air d’un
fils de prince; mais n’en avez-vous pas un plus âgé
à marier?
— J’en aurais; mais ils ne sont pas fils de ma
femme.
— Peu importe, dès qu’ils sont bien les vôtres;
présentez-les moi.
— Ils sont restés à Gojam, excepté un garçon
qui se trouvait ici .tout-à-l’heure parmi mes gens.
, . . . |Et celui-là a-t-il une position?
— Pas encore.
—I Est-il bon cavalier ?
— Oui certes, et il a tué son premier homme.
— Eh bien! voyons-le, fit la Waïzoro.
Le *Lidj Birro, car c’était de lui qu’il s’agissait,
se trouvait avec les gens de la suite aux abords de
la maison, contemplant de loin f comme il me l’a
raconté, l’heureux Tessemma qui, assiégé de courtisans,
attendait, lui aussi, la sortie de son père.
Une suivante l’appela, et il accourut pensant que le
Dedjazmatch l’envoyait quérir pour quelque service
de page; mais la Waïzoro, le considérant attentivement,
lui dit :
— Quel est ton nom, mon fils?
— Birro, répondit-il en s’inclinant.
-tk Pourquoi ne m’as-tu pas été présenté?
Et, s’adressant au Prince :
— On peut, seigneur, présenter un pareil fils.
Et, s’adressant à Birro :
— C’est bien, mon enfant, laisse-nous seuls.
Elle ne voulut plus entendre parler de Tessemma.
Ce n’était point, disait-elle, un compagnon d’enfance
qu’elle cherchait pour sa fille; Birro, au moins, avait
l’air d’un fils d’homme, et, pour prouver au Dedjazmatch
son désir d’allier leurs maisons, ‘elle con