mais l’ennemi se dirigea de* façon à nous en interdire
l’accès. Huit des nôtres se dévouèrent pour l’arrêter
au moins quelques instants; il détacha contre enx
une quinzaine d’hommes et continua à toute bride
dans la direction du Prince. Nos huit cavaliers étaient
à peine engagés, que tous nos adversaires tournèrent
bride et prirent la fuite. L’apparition subite de plus de
deux cents de nos cavaliers venait de les surprendre
autant que nous :• c’était le vigilant Ymer Sahalou qui,
ayant vu l’ennemi, arrivait à point pour nous dégager.
Nos adversaires, excités par la vue du gonfanon du Dedjazmatch,
étaient tellement préoccupés de la riche
proie que nous leur offrions, qu’ils ne s’aperçurent
de l’approche d’Ymer que juste à temps pour lui
échapper à grand’peine et disparaître sous bois. En-’
core un peu ils eussent enlevé le Dedjazmatch; car
plus de la moitié de son escorte était composée de
chefs âgés, déshabitués des coups main depuis
leur accession à des postes élevés. Nos huit cavaliers,
dont le dévouement contribua pour une bonne part
à nous éviter cette disgrâce, n’eurent que deux chevaux
blessés.
En accourant à notre secours, Ymer avait expédié
des cavaliers pour avertir nos picoreurs de l’approche
de l’arinée ennemie. Il avait également fait prendre
une tente : quatre cavaliers la portaient par lés quatre
coins. A tout événement, elle fut dressée immédiatement
comme point de ralliement. Nos gens du camp
nous rejoignirent pêle-mêle, et nous ne tardâmes pas
à voir un g ro s , corps d’infanterie sur le couronnement
d’un petit deug'a en face de nous : c’était la tête de
l’armée ennemie. La bataille allait être inévitable.
Heureusement le cri d’alarme des messagers
d’Ymer, répété d’éminence en éminence, avertissait
nos picoremrs.; ils accouraient déjà, formant sur nos
derrières de longues files ondulantes qui, d’instants
en instants, augmentaient notre nombre. On commença
à former les rangs à environ 200 mètres en
avant de la tente du Prince; derrière régna une
confusion inexprimable. Quant à moi, après avoir dit
à mes cinq rondeliers, mes sèüls vassaux, de prendre
rang où ils voudraient, je me tins près dé Monseigneur,
saps autre soin‘que celui d’apaiser mon cheval
qui bondissait, chauvissait des oreilles et aspirait le
tumulte de tous ses nasaux.
On allait, on venait, on courait, on s’appelait; les
cris, les adieux, les lazzis, les invectives, les chants
et thèmes de guerre s’entrecroisaient de toutes parts.
Les derniers venus cherchaient à qui confier leur
toge ; des femmes s’agitaient en tous sens. Ici, la concubine
de quelque seigneur, assise SUr Un culbutis de
bagages, oubliait de voiler son joli visage contracté
d’effroi.
<a Ne crains rien, lui disait un soldat en passant, tu
es trop belle pour avoir choisi un imprudent. »
Une autre, se frappant la poitrine et pleürant,
invoquait à haute voix saint Georges et Notre-Dame
de Bon-Secours.
Une autre, le regard fixé sür quelque bande, s’écriait:
« Mon bon maître, mon orgueil, qüe Dieu vous
garde en ce jour ; toi, Notre-Dame, protège mon corps
en lui! »
Des groupes de servantes, les poings Sur les
hanches, regardaient dé tous leurs yeux, défendaient
Contre les voleurs leUr'S Ustensiles et paquets; qüelques-
unes, gourdes en mains, offraient à boire aux passants ;
d’autres, court vêtues, la toge enroulée en ceinture,
allaient se porter résolument derrière les hommes en