vainement de les en empêcher. J ’en référai au raïs,
ou patron dé barque,
— Puisque tu as à choisir entre ces gens et nous,
lui dit le chef des Maugrebins, fais donc débarquér
ces chiens de chrétiens !
Ma réponse fut vive; on se rua sur moi, et je fus
désarmé. Domingo reçut une égratignure à la main,
en parant un coup de sabre qui m’était porté. Mon
frère sc jeta dans une yole avec le Lazariste et se
rendit chez le gouverneur. Nous descendîmes, l’Anglais
et moi, dans un autre canot, au milieu des vociférations
menaçantes de nos adversaires. Bientôt,
nous vîmes Y embarcation du gouverneur .armée de dix
rameurs qui volait vers' nous : mon frère en tenait le
gouvernail, Heussein Bey était debout, un pied sur
la proue; en approchant de notre bugalet, le Bey saisit
un hauban et d’un bond fut à bord. La troupe de
Maugrebins s’ouvrit devant lui.
— Chiens, leur dit-il, où croyez-vous .être, pour
oser traiter ainsi ces Français?
— Qui donc interpelles-tu ainsi, fils de maudit?
— répliqua le chef des pèlerins; et cette réplique
hardie fut soutenue par un murmure de ses compagnons.
Le gouverneur répondit par un vigoureux
soufflet, et ramenant la main sur son sabre, il se
tourna vers cinq ou six de ses soldats, en disant:
— Empoignez cet homme et faites débarquer tous
les autres. ,
Les Maugrebins étaient tous, armés; ils s’entre-
regardèrent; mais Heussein Bey s’avança résolûment
au milieu d’eux, et, avec cet ascendant que donnent
le courage et l’habitude du commandement, il les
obligea à descendre dans les embarcations.
Le gouverneur nous emmena à son divan, fit
comparaître le chef des Maugrebins, instruisit l’affaire,
et dit, en voyant l’égratignure dç Domingo :
— C’est dommage que ce ne soit pas une bonne
blessure ; cela m’eut permis de faire un exemple.
Et se tournant vers son chaouche : — Qu’on • donne
au drôle cent coups dé bâton!
A cet arrêt, le Maugrebin, qui était fils d’un kaïd
de l’Algérie, exhiba pour la première fois son passeport
français*
L’agent français, ayant été mandé, dit au Bey qu’il
ne pouvait autoriser la bastonnade. Heussein Bey.
allégua que nous étions munis d’un firman du vice-
roi, et que si le gouvernement français était trop bénin
envers ses sujets Maugrebins, il n’entendait point
agir de même. Nous intervînmes aussi, mais nous
ne pûmes obtenir que la diminution d’une moitié de
la peine.
Sur un signe du Bey, quatre hommes étendirent
le condamné par terre; le Bey, comme pour apaiser
son humeur, lui appliqua vigoureusement les premiers
coups et passa le rotin à un de ses soldats qui, acheva
consciencieusement la besogne.
Le Bey nous retint à dîner, nous engagea à fréter
le bugalet en entier et surtout à n’admettre à notre
bord aucun pèlerin. — Nous suivîmes son conseil,
et un vent favorable nous conduisit en six jours à
Djeddah.
Là* mon domestique égyptien, Ali, effrayé des dangers
d’un voyage en Éthiopie, nous quitta pour s en
retournër au Caire. Quant à nous, après quelques jours
passés en compagnie de notre consul, l’aimable et savant
M. Fresnel, nous nous embarquâmes le 11 février
1838, et le 17, nous abordions à l’île de Moussawa.
Les habitants de cette île n’avaient vu qu’un très