tré chez moi, je reçus de sa part deux cents pains et
quelques amphores d’hydromel, et en ma qualité d’habitant
de la ville, je lui envoyai à mon tour un cadeau
analogue. Les soldats de son escorte furent hébergés
chez l’habitant ; mais comme Gondar relevait directement
du Ras,, on les répartit le lendemain dans
des villages aux environs, relevant du Dedjadj Co-
nefo, lié d’amitié, comme on sait, avec le Dedjadj
Guoscho.
Je visitai journellement le malade. Chaque matin,
on le soumettait à une ablution d’eau froide, consacrée
préalablement par des prières, et, je crois aussi, par le
contact des reliques de Saint Tekla-Haïmanote, le seul
parmi les nombreux saints éthiopiens qui soit admis
dans les diptyques de la liturgie éthiopienne imprimée
à Rome. Cependant le miracle se faisait attendre, et
après quatorze jours de ce traitement, le Lidj Dori se
disposa à repartir. Ceux qui l’accompagnaient me pressèrent,
au nom de son père, de me joindre à eux et je
m’y décidai d’autant plus volontiers que les trafiquants
ne parlaient de rien moins que de remettre à l’automne
leur expédition en Innarya.
En faisant mes visites d’adieu à l’Itchagué et aux notables
de ma connaissance, je leur recommandai mon
domestique basque, Domingo, que je laissais à Gondar,
pour servir mon frère, s’il arrivait avant mon retour, et
aussi pour assurer mes communications avec Mous-
sawa.
J’étais impatient de me mettre enfin en route ; mais
je ressentais de la peine à quitter l’excellent Lik Atskou,
qui s’était toujours montré si paternel pour moi. Il
m’accompagna jusqu’au seuil de sa maison, demanda
un siège, éloigna tout le monde et se mit à prier pour
moi. Il me-donna ensuite quelques conseils, qu’il interrompit
plusieurs fois pour rabrouer mes gens qui s’impatientaient.
— Avant tout, mon fils, dit-il, garde-toi bien du mauvais
oeil; en Gojam, il est commun et venimeux, et il
s’attaque de préférence, comme tu sais, à ceux qui ont
le teint clair. Tu vas être à la cour d’un prince sans pareil
en Ethiopie; il est homme de bien, mais ne t’étonne
pas d’y trouver des hommes d.e mal : le sort des princes
est d’être entourés de ce qu’il y a de meilleur et de ce
qu’il y a de pire. Peut-être bien cherchera-t-il à t’attacher
à sa fortune; reste avec lui, si .cela te convient,
mais n’oublie pas ton pays, car, soit pratiques magiques,
soit amabilité naturelle, les Gojamites sont accusés,
de savoir faire oublier aux gens leur patrie. Tourne
au bien la faveur dont tu jouiras; les flatteries et les
pièges t’entoureront; sois discret, réservé, et ne te laisse
jamais envahir au point de ne pouvoir rentrer parfois
dans ton coeur pour t’inspirer des idées de France. Notre
pays est pauvre, dans la demi-obscurité du mal, et.
I tu viens d’un pays de richesse et de lumière. Ya, mon
enfant, suis ton destin, et que Dieu te garde!
Je m’éloignais, lorsqu’il ajouta :
— N’oublie pas que tu es jeune, et si tu tardes trop,
tu ne me retrouveras plus.
Le Dedjadj Conefô avait indiqué nos étapes : le premier
jour, nous couchâmes dans des villages à quelques
kilomètres seulement de Gondar; le lendemain,
nous arrivâmes à Tchilga où il campait. Il ne voulut
pas voir le Lidj Dori, pour ne pas s’attrister l’esprit,
I dit-il, et il nous fit loger à distance du camp, ce qui
m’empêcha de saluer ce Dedjazmatch, qui, d’ailleurs,
faisait peu de cas des Européens, depuis sa victoire sur
les Turcs. Deux jours après, nous nous mîmes en route
pour le Dangal-beur ou col de Dangal, situé au Sud-Ouest