pendant sept mois de l’année, Berberah reste complètement
désert. Les principales provenances qui alimentent
cette foire sont : des esclaves, des boeufs,
des moutons, de la myrrhe, du café, de l’or (en petite
quantité), du civet, de l’ivoire, de la gomme, quelques
peaux, de l’encens, du cardamôme et du beurre fondu.
Les importations sont : des é,toffes de coton de l’Inde
et de la Perse, du cuivre, de l’antimoine et surtout
de l’argent. Les Somaulis, peuple pastoral, ont peu
de besoins, mais ils sont attirés à Berberah par l’espoir
d’exploiter les trafiquants. Tout étranger, dût-il
ne rester qu’un jour à Berberah, est obligé de choisir
parmi les Somaulis un abbane ou protecteur, à qui
il doit faire un cadeau en argent ou en nature. Cet
abbane le protège contre les avanies, répond de sa
personne, de ses biens et de sa conduite, préside à ses
ventes, et achats, sur lesquels il perçoit de petits profits;
il lui sert d’arbitre dans ses contestations, et il
est arrivé souvent. qu’il se soit fait tüer plutôt que de
le laisser molester.
Je trouvai mon frère encore souffrant; l’état de
sa vue lui ayant fait craindre au Caire de ne plus
pouvoir écrire, il s’était adjoint comme secrétaire un
jeune Anglais. Il me désigna un abbane qui, selon la
coutume, m’envoya un mouton et divers mets préparés,
en échange desquels je lui fis le cadeau habituel,
qui rappelle les xénies en usage dans la Grèce
ancienne. En débarquant, j’avais cru sentir que les
indigènes me regardaient de mauvais oeil, et tous les
détails que mon frère me donna sur son séjour me
confirmèrent dans cette opinion. Il m’apprit que peu
avant mon arrivée, sur le bruit répandu à Berberah
que le capitaine Heines serait bien aise qu’on attentât
à sa sûreté, son abbane l’avait engagé à écrire au capitaine
pour qu’il démentît au moins un pareil bruit,
et celui-ci lui avait répondu que comme gouverneur
d’Aden, il n’avait pas à s’occuper de ces détails d’un
intérêt tout personnel.
Nous cherchions à gagner le Chawa en passant
par Harar, petit royaume à quatre ou cinq jours de
marche de Berberah. Mais ici encore, il nous fallut
compter avec le gouverneur d’Aden, qui employa
contre nous son agent de confiance , un Somauli
nommé Scher Marka, établi à Aden. Cet homme, fort
influent parmi ses compatriotes, à cause du trafic
étendu qu’il faisait, se tenait durant la foire à Berberah,
d’où il approvisionnait de bétail et de diverses
denrées la garnison d’Âden; il nous fit dire qu’à
moins de nous concilier le capitaine Heines, nous
chercherions vainement à gagner Harar. Un marchand
maugrebin, natif de l’Algérie française, nous
confia .qu’à la suite d’instructions venues d Aden,
Scher Marka avait fait décider dans une réunion de
Somaulis qu’aucun chef de caravane ne nous admettrait.
Bientôt, des bruits de plus en plus fâcheux circulèrent
sur notre compte; nos abbanes nous prévinrent
de ne plus sortir le soir, de ne pas nous éloigner,
même le jour, des habitations; que sinon, ils ne pourraient
plus répondre de nous.
’ Des vieillards Somaulis vinrent nous demander
quels motifs incitaient le gouverneur d’Aden. contre
nous ; mais pour leur faire comprendre notre position,
il eût fallu leur expliquer l’état des choses en
Europe, et tout un ordre d’idées peu intelligibles pour
eux. Ils nous demandèrent aussi quel grand intérêt
nous engageait à braver, comme nous le faisions, un
péril évident; et il nous fut aussi difficile de leur
répondre clairement sur ce point. Ils eurent cepen