dépravèrent, et la dissolution de l’Empire progressa
rapidement. Par condescendance pour l’opinion publique,
et comme pour faire illusion à leur peuple,
les Empereurs affectaient' de respecter quelques-
unes de ses anciennes libertés. Selon la coutume ,
l’Empereur n’était réellement le maître que sur une
grande route; dès qu’il posait le pied sur la terre
d’une commune, il devait obéissance à la loi de
cette commune et soumettre ses volontés aux officiers
communaux. Les Atsés suivaient hypocritement cet
usage et donnaient lieu quelquefois à des incidents
semblables à celui du moulin de Sans-Souci, faisant
croire ainsi à une liberté et à une justice qui n’existaient
plus, Ils maintenaient aussi auprès de leur
personne un Akab-Saat, officier chargé de rester debout
auprès de l’Empereur quand il mangeait ou
quand il buvait, et de lui arrêter même la main,
dès qu’il jugeait que son maître dépassait les règles
de la tempérance. L’Atsé ne prenait pas un repas,
sans que l’Akab- Saat fût présent; on citait des cas
où cet officier avait saisi la coupe. Mais les orgies impériales
finissaient fréquemment par des exécutions.
Plusieurs vastes provinces de l’empire, telles que
l’Innarya et le Kafa, le pays des Djindjerous, le. Sen-
naar, une partie du grand Damote, le pays des Grallas-
Azabo, avaient profité des suites de l’invasion musulmane,
pour s’affranchir de leur vassalité à l’empire
et se constituer en États indépendants. Les Empereurs,
trop occupés des discordes civiles pour les faire rentrer
dans l’obéissance, se contentèrent d’exercer vis-
à-vis d’elles une suzeraineté ■ qui de nominale devint
fictive; ils se faisaient donner néanmoins le titre de
Rois des Rois. D’accord avec leurs Likaontes et leurs
clercs-légistes, ils promulguaient des rescrits, des ordonnances
et des lois, statuaient sur les dogmes et discréditaient
la religion et le clergé en faisant prononcer
l’excommunication contre les infractions, meme legeres,
à leur autorité. Bientôt ils se livrèrent sans frein aux
plus iniques extravagances. On raconte que 1 un
d’eux, rentrant dans son camp et voyant 1 enceinte ou
étaient ses tentes, imparfaitement palissadée, manda
le chef dont les troupes avaient execute cette corvee,
et, pour compléter la clôture, le fit lier avec quelques-
uns de ses hommes, pour servir de palissade vivafnte.
La nuit, les hyènes les dévorèrent, pénétrèrent auprès
de la tente impériale et mangèrent quelques gardes
et le cheval favori de l’Empereur, qui craignit pour
lui-même et cria au secours. Les traditionnistes ajoutent
que le lendemain le monstre déposa le sceptre
et s’en alla, sous l’habit religieux, mourir dans un
koualla désert, où, au jour anniversaire de son dernier
crime, on entend encore, dans la nuit, les hurlements
des hyènes, les cris des victimes et un tumulte
semblable à celui d’un camp bouleversé.
Un autre, pour se réfugier contre les remords et
expier ses crimes, s’en alla s’asseoir en un lieu écarté
et fit construire autour de lui un mur circulaire, sans
porte ni fenêtres, et recouvert d’une voûte ; on pratiqua
dans le mur épais une seule lucarne, par laquelle,
sans pouvoir le voir ni en être vu, on lui passait
le pain et l’eau. -Parfois des visiteurs compatissants
l’appelaient; il leur tenait des discours émouvants
dont on rapporte encore des lambeaux. Il
vécut ainsi plusieurs années. Un jour,- comme il ne
répondait pas, on démolit ce sepulcre, et on trouva
son corps dans l’attitude d’un homme qui prie.
Les stupides tyrannies des Atsés provoquèrent rébellions
sur rébellions. Ils avaient nié la liberté,