Égyptiens, quelques prisonniers parmi les troupes
d’infanterie régulière, les interrogea relativement
aux évolutions qu’ils venaient de faire sur le champ
de bataille, et, frappé de l’ineptie de leurs réponses,
il déclara leur intelligence bien inférieure à celle
de ses propres soldats.
— C’est sans doute pour suppléer à leur manque
d’esprit et de courage, ajouta-t-il, qu’on fait évoluer
ces mécréants comme nous l’avons vu. Ils font
la guerre comme un troupeau d’esclaves. A une force
collective, réglée comme la leur, je préfère le désordre
et l’individualité hardie de mes hommes; ceux-ci,
battus sur le champ de bataille, peuvent se relever
dans la vie civile; ceux-là, même vainqueurs, sont
faits pour croupir dans. la servitude.
Comme le soldat peut aspirer au plus haut grade,
il existe dans les armées un grand esprit d’égalité,
en même temps que le sentiment de la hiérarchie.
Cette égalité se répercute dans la vie civile et se
manifeste sans insolence d’une part comme sans bassesse
de l’autre. Il n’est point de pays, quelque civilisé
qu’il soit, où, à un moment donné, l’homme
de guerre ne tienne la première place. En Éthiopie,
les préséances sont toujours pour lui; cette estime
est naturelle, sans doute, dans une société établie
principalement sur des bases militaires, mais elle
prend sa source aussi dans l’esprit d’indépendance
qui préside à la guerre, et l’on se demande si ce
n’est pas un des mérites de la discipline européenne
d’enlever quelque chose de son charme à l’action
de s’entre-détruire, de toutes la moins conseillable
assurément, quoique la plus universellement admirée.
L’Éthiopien est svelte, souple, adroit, endurci aux
fatigues, excellent piéton, quand il n’est pas bon
cavalier, de peu de besoins, d’une sobriété merveilleuse
et naturellement porté a la vie militaire par
ses qualités comme par ses défauts. Il fuit d’instinct
toutes les entraves, et autant il redoute la compression
inexorable des grands entassements de combattants,
autant il se déploie et joue allègrement sa
vie dans les combats moins en disproportion avec
son individualité.
Le combat qu’il préfère à tous, parce qu’il est
plus libre d’y développer sa personnalité, est celui où
l’insuffisance du terrain ou d’autres circonstances portent
les chefs à n’engager qu’une partie de leurs forces.
Il aime à voir les escarmoucheurs des deux armées
s’épier et s’aborder en vociférant leurs thèmes de
guerre. Il jette joyeusement sa toge pour revêtir quelque
ornement de combat, quelque oripeau d’apparat, et
se mêler aux lignes largement espacées qui s’entre-sui-
vent et se relèvent à l'attaque. Il aime à comprendre la
raison des évolutions des deux partis, a pouvoir juger
des coups, à savoir sous quelle main les victimes tombent,
à choisir parmi les ennemis pour venger leur
mort, à conformer ses mouvements aux instincts qui
illuminent ses compagnons, et à sentir le sol frémissant
sous des charges de cavalerie qui viennent, comme par
raffales, changer subitement la configuration du combat.
Il aime à entendre, au milieu des pétillements de la fusillade,
des hourras, les cris, les défis, les injures, les
encouragements, les allocutions, la voix perçante des
trouvères, et les sons cadences des flûtes alternant avec
les mâles et lugubres gémissements des trompettes, a
savoir enfin que sur les collines, derrière leurs timbaliers
battant la charge sur place, les deux chefs rivaux
et les deux armées le suivent des yeux,et qu’il peut dun
moment à l’autre retourner vers son seigneur, et, jetant