main le Ras qui la commandait. Pour donner à ses
entreprises une signification religieuse et attirer du
même coup ses coréligionnaires sous son drapeau,
Ahmed prit alors, conformément à l’usage arabe,
le titre d’imam, qui signifie champion de la religion.
Les chrétiens lui donnèrent le sobriquet de
Gragne, qui veut dire gaucher. R dérouta encore
d’autres armées impériales. L’empereur marcha contre
lui, fut battu dans une grande bataille, et il fuyait
devant son vainqueur, qui le pourchassait de frontière
en frontière, exterminant les chrétiens qui
refusaient de reconnaître Mahomet, lorsqu’une bande
de héros portugais, envoyés au secours de l’Empire
chrétien, défit Ahmed Gragne | dans une bataille
livrée en Bégamdir. Ahmed y laissa la vie, et la
restauration de l’Empire put s’effectuer.
Des neuf années, dit-on, durant lesquelles Ahmed
Gragne ravagea l’Empire furent les plus désastreuses
peut-être que la nation eut à traverser. Partout
où campait l’Imam, les populations chrétiennes
étaient réduites à opter entre l’Islamisme ou la
mort. Son armée s’abattait sur une province, la
pillait, l’incendiait et passait au fil de l’épée tous
les habitants maies. Partout les églises furent dépouillées;
quelques-unes renfermaient des richesses
considérables : on en cite dont la toiture était recouverte
de lames d’or. D’autres possédaient des bibliothèques
précieuses, monuments des siècles les plus
reculés (1), et les plus anciens sanctuaires furent
(1) Je dois à l’obligeance d’un bibliophile, M. Gustave Grandin, la
communication d’un Traité fort rare publié au dix-septième siècle, et
dont voici un extrait :
« .... Muleasses, Roy de Tunis, avait érigé une très-splendide bibliothèque,
au rapport de Louis d’Urreta, qui assure que Mena, Empereur
jalousement détruits par le feu. Une portion considérable
de la population se réfugia chez les peuples
voisins, où elle vécut pour un temps : beaucoup de
ces réfugiés s’unirent à dés femmes étrangères et donnèrent
naissance à des générations, qui ont modifié -
profondément la physionomie originelle de l’antique
race chrétienne (1). De tous côtés, des bandes
d’hommes résolus à mourir au moins les armes à
d’Æthiopie, ayant entendu que l’armée de l’Empereur Charles V emportait
cette despoûille, il donna charge à des marchands égyptiens et
vénitiens pour l’achepter à quelque prix que ce fût. Lesquels accomplirent
une partie de son dessein, car, ils en obtindrent plus de trois
mille, qu’ils lui envoyèrent. Ce prince les reçeut avec une grande ioye
et les envoya incontinent dans la Bibliothèque Royale des Abyssins.
Laquelle à présent ne cède à celle d’Alexandrie pour le nombre de ses
livres ; selon Paul loue et Henry de Sponde, évesque de Pamiers, en ses
Annales sacrez, fa n 1535, num. 22... (Bu Roy de Tunis, pages 50. 51.) :
Louis Urreta, Espagnol, asseure qu’au monastère de Sainte-Croix,
au mont Amara, il y a trois bibliothèques très-amples. Lesquelles contiennent
dix millions cent mille volumes escrits en beau parchemin et con-
seruez dans des estuis de soye. Cette grande et imcomparable multitude
de livres (comme l’on croit) commença d’ôtre ramassée par Makada ou
Nicaula, Reyne de Saba, et Melilek, son fils, qu’elle eut de Salomon. Duquel
on dit que les oeuures y sont conseruées avec celles d’Enoch, Noé,
Abraham, et Job et des autres S.S. Pères : comme il appert par le catalogue
fait par Antoine Bricus et Laurent Cremones. Lesquels par le com-
mandemenf du pape Grégoire XIII et la prière du cardinal Guillaume
Sirlet purent visiter ce miracle du Monde, pour les livres, que l’on appelle
en langue Æthiopique ASSABRARIA. C’est une chose et très-digne
de remarque que la pratique qui se prit dans le couronnement des
Empereurs des Abyssiens ; qui est le don qu’on leu r fait des clefs de cette
Bibliothèque Royale du Mont Amara, pages 51, 52. »
(Traicté des plus belles bibliothèques publiqves et particvlières, qvi.
ont esté, et qvi sont à présent dans le monde. Divisé en deux parties.
Composé par le P. Lovys Jacob. A Paris, chez Rolet Le Duc, ru e Saint-
Jacques, près la Poste. M. DC. XLIV. Avec privilège du Roy.)
(1) En Europe, où les besoins et l’attirail de la vie se sont multipliés,
on conçoit malaisément que des communes entières puissent effectuer
de longs voyages et vivre longtemps à l’étranger, sans se dissoudre. J’ai
été à même de voir fréquemment, sur une échelle réduite, ces migrations
de communautés, et la constance avec laquelle elles gardaient leur
organisation dans les pays, où elles avaient à vivre, m’a souvent donné
lieu d’admirer ces effets de l ’autonomie communale.