périeur nous disait qu’il ne savait à qui nous adresser,
lorsqu’on frappa discrètement à la porte du parloir.
— Voici justement, reprit-il en nous désignant
celui qui entrait, le Père Giuseppe Sapeto, de là Congrégation
des Lazaristes; il a étudié l’arabe en Syrie,
où il vient de séjourner comme missionnaire, et il
pourra peut-être nous donner un bon conseil. -
Le Père Sapeto était jeune; sa figure avenante prévenait
en sa faveur; il s’assit à côté de moi, et notre
conversation eut bientôt dépassé le but de ma visite.-
Je lui appris que nous comptions aller dans la Haute-
Ethiopie, dont les lois excluaient, sous peine de mort,
tout missionnaire catholique; que plus de deux siècles
auparavant ces lois avaient fait de nombreux
martyrs parmi les missionnaires jésuites et franciscains
(1); et comme il regrettait de ne pouvoir marcher
sur leurs traces, je lui proposai de partir prochainement
avec nous. Mon frère trouva heureuse l’idée de
faire notre voyage, croix et bannière en tête;, le Père Sapeto
demanda la nuit pour réfléchir, et nous nous séparâmes
sans nous douter de combien d’événements notre
conversation fortuite serait l’origine.
Le lendemain, il nous avoua que les difficultés
matérielles l’arrêtaient; nous lui offrîmes de le défrayer,
de lui procurer les vêtements sacerdotaux
qui lui manquaient; il accepta, et il fut convenu qu’il
écrirait à ses supérieurs en Europe, afin d’obtenir
leur approbation et les moyens de pourvoir ultérieurement
à la Mission, si elle devait offrir des chances de
succès.
L’Anglais avait fait les campagnes de Portugal en
qualité de volontaire dans la cavalerie de Don Pedro;
(1) Les missionnaires catholiques ont été expulsés d'Ethiopie en 1629.
il s’était distingué par sa bravoure, et n’avait quitté
son drapeau qu’après la défaite entière du parti de Don
Miguel. Je l’avais trouvé au Caire, à bout de ressources
et sur le point de se faire musulman : deux beys s’acharnaient
à le convertir ; lui ne cherchait qu’aventures.
Afin de lui épargner une apostasie, nous l’engageâmes
aussi.à nous accompagner, et il se joignit à nous.
Mon frère revenait du Brésil, où il avait été chargé
par l’Académie des sciences de faire des observations
sur le magnétisme terrestre. Son domestique basque,
Domingo, l’avait suivi pendant ce voyage.
Nous arrivâmes sans incident à -Kouçayr, sur la
côte occidentale de la mer Rouge.
C’était l’époque du passage des pèlerins qui vont à
La Mecque; aussi, ne trouvant pas à nous loger en
ville, dûmes-nous camper sur la grève et faire bonne
garde, la nuit, à cause des maraudeurs bédouins.
Issah, agent consulaire français, le seul chrétien
catholique de la ville, venait d’être père d’une fille; il
demanda à mon frère d’être le parrain de son enfant,
et cela établit entre nous des relations agréables. Nous
fûmes bien accueillis aussi par Heussein Bey, gouverneur
de Kouçayr. Il avait servi en Grèce pendant
plusieurs années, s’était trouvé en face de nos soldats
et avait conçu une haute estime pour les Français.
Tous les bâtiments en partance se trouvaient déjà
frétés par les pèlerins; la dunette d’un bugalet non
ponté, d’environ 50 tonneaux, nous offrait seule une
chance de passage. Nous y fîmes embarquer nos bagages
et nos compagnons, et nous allâmes, mon frère
et moi, faire nos adieux au gouverneur. Mais en retournant
à bord,' nous trouvâmes tout en tumulte : les
pèlerins Maugrebins voulaient loger leurs femmes sous
notre dunette, et notre compagnon anglais s’efforçait