qui sè jettent dans l’Abbaïe se forment ou grossissent
souvent avec une instantanéité telle, qu’ils surprennent
jusqu’à des panthères, des lions ou d’autres animaux
sauvages, et les roulent jusqu’au fleuve* Quelques
heures plus tard, il eût fallu peut-être se résigner
à hiverner en pays Galla, où, vu la saison et la difficulté
de se procurer des subsistances, la plus grande
partie de notre armée aurait probablement péri par les
intempéries, les privations ou le fer de l’ennemi,
Le lendemain, dès l’avant-jour, l’armée se déroula
en serpentant sur les longues et raides montées qui
mènent au plateau du G-ojam. Le premier hameau que
nous atteignîmes était groupé autour d’une église
dédiée à saint Michel, Pour la saluer, les cavaliers, un
pied à l’étrier, de l’autre touchaient la terre en passant;
d’autres stationnaient aux abords, le temps de
faire une prière; hommes et femmes remerciaient
Dieu à haute voix de les avoir ramenés en terre
chrétienne; les femmes surtout lui parlaient avec une
familiarité affectueuse, parfois touchante. Il est probable
que toutes ces démonstrations n’étaient point
aussi épurées qu’il l’eût fallu, qu’il s’y mêlait dans
bien des poitrines des pensées d’un ordre plus mondain
que céleste : le réveil d’affections égoïstes, l’espoir
de s’abriter au foyer contre les pluies de l’hiver, d’intéresser
la veillée par les récits de l’expédition accomplie;
mais il faut croire aussi que pour plusieurs
l’idée de la bonté providentielle se dégageait de toute
préoccupation terrestre.
Comme il arrive à la fin d’une expédition, lorsque
le stimulant de l’imprévu et du danger a disparu,
l’entrain s’était affaissé; bêtes et gens, tous s’abandonnaient
à la fatigue. Notre marche et notre campement
eurent lieu pêle-mêle; les mille soins de la vie des
camps étaient négligés; malgré une pluie pénétrante,
beaucoup de soldats, plutôt que de se construire une
hutte, se pelotonnaient à plusieurs sous quelque abri
portatif ou se recoquillaient sous leur bouclier. Des
chefs ne purent retrouver leurs tentes, d’autres leurs
provisions ou leurs gens de service; on pataugeait
dans la boue, on se cherchait, on s’entre-appelait
de tous côtés. La tente du Prince fut assiégée de messagers,
accourus de toutes parts pour l’informer des
événements survenus durant notre absence. On m’apprit
que le sommier portant ma tente s’était abattu
et avait dévalé toute une montée.
— Sais-tu dormir quand tu n’as pas dîné? me
dit le Prince. Je doute que nous trouvions à manger
ce soir, car tout le service du gobelet est encore
en route, et les. drôles s’abriteront sans doute
dans quelque village. Cette pluie va durer toute la
nuit; tu resteras avec moi; nous causerons pour
chasser la faim et le froid.
Il faisait nuit, lorsque les gens d’un gouverneur
des environs, resté pour garder le pays, arrivèrent
chargés de provisions de bouche pour le Prince.
Leur maître, retenu chez lui par une ophtalmie,
demandait que j’allasse lui donner quelque remède
. — Ya, va, me dit le Prince, je voudrais pour
ce soir n’être pas Dedjazmatch, et avoir tes recettes,
afin de me reposer, moi aussi, chaudement et bien
repu.
Après environ une demi-heure de marche, je
mis pied à terre devant une grande et confortable
maison; On s’empressa autour de moi; le gouverneur
fit sortir son cheval favori de sa stalle, pour
y mettre le mien; et me jeta sur les épaules une de