qui divisent les populations, les épidémies accidentelles
ou périodiqués, sont autant d’empêchements
éventuels. A chaque étape, il peut être contraint de
faire séjour, ou devenir victime de cette tendance
qu’ont les indigènes de retenir l’étranger pour toujours;
enfin, les races africaines habitant loin des
côtes, regardent ordinairement le temps comme
presque sans valeur; elles semblent vivre de forces
mortes comme d’autres races de forces mouvantes,
et, dans de telles conditions, l’activité individuelle
risque trop souvent -de s’épuiser contre la flaccidité
qui l’environne. Entre autres faits résultant d’un
pareil état de choses, on rapporte qu’une caravane
de trafiquants a mis deux années pour faire la route
de Basso en Gojam à Saka en Innarya, route que,
dans des circonstances favorables, un bon piéton fait
en quatre jours, la distance en ligne droite n’étant
que de 233 kilomètres.
Mon frère parti, je dus aviser à mon hivernage.
Le Lik Atskou entendait me garder dans sa maison,
mais elle ne désemplissait pas de visiteurs attirés
par l’originalité de son esprit, son érudition célèbre
dans toute l’Éthiopie et les charmes de son langage.
Je ne pouvais donc y vivre assez retiré à mon gré,
et je fis construire à la hâte, dans un enclos .attenant
à sâ cour, une spacieuse cabane couverte en
chaume, où je m’installai avec ma mule ; mes gens
réparèrent pour eux-mêmes une hutte abandonnée
appartenant à mon hôte. Domingo que mon frère
avait voulu laisser auprès de moi, un drogman, deux
jeunes hommes et une servante pour préparer notre
nourriture, composaient alors toute ma maison.
Dès la fin de juin, les pluies me retinrent chez
moi ma visite quotidienne au Lik Atskou, une série
d’observations météorologiques et des hauteurs
de soleil, la lecture et quelques consultations médicales
faisaient passer rapidement mes journées. Ce
genre de vie confirma les habitants dans la haute
opinion qu’ils s’étaient faite de mes lumières : malgré
ma jeunesse, ils me tenaient pour astrologue et
médecin savant; aussi bien, je possédais quelques
drogues et une belle trousse d’instruments de chirurgie.
Un incident qui eut lieu avant le départ de
mon frère aurait dû pourtant leur faire ouvrir les
yeux sur mon compte.
Un notable de la ville était venu me supplier de
secourir un de ses parents qu’il aimait tendrement,
disait-il. Je me rendis auprès du malade; il avait
une descente du rectum, et je déclarai l’excision indispensable.
Les parents effrayés me demandèrent
l’emploi de moyens plus doux et m’objectèrent que les
rebouteurs, du pays étaient incapables d’une opération
si délicate. Je leur dis qu’il n’y avait pas d’autres
remède, j’offris d’opère moi-même et j’envoyai
quérir mes instruments. Mon plan était bien simple
: produire un étranglement, trancher d’un coup
de bistouri, cautériser avec un moxa et laisser la
nature faire le reste. Ayant désigné mes aides et mis
le sujet en posture, je déployai ma trousse devant
l’assistance; l’aspectf de mes instruments et mon aisance
impitoyable augmentèrent l’émotion causée
par les cris du patient qui se réclamait déjà de tous
les saints. Les parents me prièrent de surseoir à
1 opération;' avant d’en arriver là, ils essaieraient,
dirent-ils, d’unë neuvaine à Saint Takla Haïmanote. —-
Je m offensai dè. leur manque de confiance et repliant
prestement bagage, je sortis, bien aise au fond d’être
affranchi d’une besogne peu agréable. De retour à