voyagé pour faire le commerce; leur facilité à payer
une fois connue, les péagers d’abord, et bientôt les
paysans, se postaient sur leur route, et, alléguant des
droits imaginaires, .leur extorquaient de l’argent,
J ’ignorais alors, mais je pressentais qu’il ne convenait
pas de nous laisser assimiler à des trafiquants, et mon
instinct me guidait sûrement, car dans cette partie .
de l’Afrique, où tout est féodal, la considération s accorde
d’après la. classe à laquelle on appartient. Les
nobles et les • hommes de guerre sont placés au
premier rang, ensuite les hommes d’eglise, puis les
riches cultivateurs, les propriétaires de grands troupeaux,
les paysans, enfin les trafiquants, et, en dernier
lieu, ceux qui exercent quelque métier manuel ;
parmi les marchands, ceux qui font trafic d esclaves
sont méprisés, Je ne me suis jamais soumis, en
Éthiopie, à payer un droit de douane ou de passage;
dans cette circonstance et dans celles du même genre
où je me suis trouvé depuis, jusqu’au moment où, en
changeant ma manière de voyager, je me suis affranchi
de ces sortes d’ennuis, le seul mobile de ma résistance
a été de relever la considération due à mes compatriotes,
Pour arriver à ce but, j’ai dépensé bien plus de
temps, d’argent et de fatigues que si j’eusse consenti
à subir ces avanies, et si mes efforts et ceux de mon
frère ne les ont pas fait disparaître complètement, du
moins les onLils rendues bien plus rares. La notoriété
de notre résistance a servi de précédent, et a permis à
quelques voyageurs européens, venus après nous, de
suivre notre exemple et d’établir ainsi nos droits.
Ayant opposé un refus motive a l’emissaire de
Gabraïe, nous voulûmes nous remettre en marche;
mais notre rusé drogman, pour se rendre agréable à
Gabraïe, s’y prit si bien qu’il nous décida à passer la
nuit où nous étions. On chercha à débaucher nos
porteurs; le lendemain, quatre ou cinq d’entre eux
n o u s quittèrent; nous perdîmes une journée à les remplacer
et notre provision de farine tirant a sa fin, il
fallut encore une demi-journée pour s’en procurer,
enfin, j ’ordonnai à nos gens de se mettre en route;
mais’ un étranger que j’avais remarqué parmi les
paysans qui badaudaient autour de notre campement,
donna un contre-ordre). Cet étranger, de haute taille
et aux larges épaules, balançait d’un air important
son javelot et son .long sabre passé dans une ceinture
d’un volume démesuré.
Je demandai à mon drogman ce quêtait cet
homme.
— C’est, me répondit-il d’un air contrit, le principal
huissier du seigneur Blata-Gabraïe ; il est envoyé
pour nous empêcher d’aller' plus loin.
J’ordonnai de nouveau de brider les mules, et à cet
effet, je fis passer un muletier devant moi. L’huissier
s’avança sur nous, la. main levée : je le mis bientôt hors
d’état de nous nuire. Aussitôt apparurent une quarantaine
de soldats qu’il avait postés aux alentours de
notre bivouac. Soldats ' et paysans s’empressèrent auprès
de l’huissier qui, malgré mon peu de ménagement
pour sa personne, montra, quoiquen force désormais,
la plus grande modération. Il chargea les plus âgés
d’entre les paysans de nous garder jusqu’à l’arrivée de
Gabraïe; puis quelques soldats l’emmenèrent, et il ne
reparut plus. Nous apprîmes dans la suite quil ne
passait pas pour méchant homme et qu’il était renommé
pour sa voracité il pouvait consommer en ùn
seul repas un quartier de boeuf cru, une vingtaine de
pains et une cruche d’hydromel d’environ dix litres.
Paysans et soldats nous supplièrent -d’attendre leur
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