leurs communes, ils arrivèrent à désunir la nation
et finirent par concentrer en leurs mains la juridiction
civile. De gratuite qu’elle était, la justice devint salariée;
les Likaontes, les Azzages et d’autres espèces de
missi dominici parcouraient les provinces pour la distribuer
au nom de leur maître. Des provinces se révoltèrent
: elles furent vaincues et expropriées en
masse de leurs droits.
La famille, cet élément essentiel d’ordre et de
liberté, .était encore' dans sa force; les nouveaux
dominateurs l’affaiblirent, en accueillant, avidement
les plaintes de ses membres contre son autonomie.
La loi salique qui l’avait régie jusqu’alors, cessa d’être
sa règle absolue : les femmes furent admises ,
comme les héritiers mâles, au partage des terres;
des fiefs même importants tombèrent en quenouille,
c Nos femmes, m’ont dit quelques indigènes, ont
perdu dès-lors, avec Fesprit de soumission, leur principale
vertu ; notre vieux mariage ¿chrétien et irrévocable
devint l’exception ; le mariage dotal et accessible
au divorce, la règle; les riches et les nobles,
et nos Empereurs eux-mêmes, y ajoutèrent
le concubinat. Le discrédit cessa de frapper les
bâtards : leur légitimation et l’adoption d’étrangers
achevèrent de détruire l’unité et la moralité de nos '
foyers. La division habita parmi nous. Dès-lors les
délateurs ont paru ; les procès se sont multipliés ;
la connaissance des lois est devenue une science
abstruse, semée d’embûches (1)* et a donné nais-
(1) On comprend que dans un pays où la justice se rendait gratuitement,
et où la connaissance de la loi était assez répandue pour permettre
à chaque citoyen de remplir les fonctions de juge ou de défendre sa
propre cause, la profession d’avocat, conséquence de l’introduction d’un
nouveau régime légal, ait été accueillie défavorablement. Les avocats
naissance à cette classe d’hommes dangereux qui
font métier de nous défendre devant nos juges. Nos
familles se sont appauvries; nos communes se sont
désagrégées ; les soldats de profession nous ont envahis
; plus de sûreté ni d’abondance dans nos campagnes,
et au mot qui désignait le cultivateur on
substitua la désignation injurieuse qui prévaut aujourd’hui.
L’Empereur était devenu tout, et tout était
devenu l’Empereur. ))
« Cependant Dieu envoya bientôt des avertissements
à nos maîtres. La famille impériale se désunit
comme les autres, et l’Empire fut déchiré par des
•guerres entre prétendants à la couronne. On vit
alors s’établir l’usage cruel par suite duquel, à l’avé-
nement .de chaque Empereur, tous les agnats impériaux
étaient chargés de fers et relégués, leur vie
durant, dans quelque mont-fort. Aux plus favorisés
on permettait les jouissances matérielles. Ceux qui
parvenaient à recouvrer leur liberté se réfugiaient
dans les parties désertes du pays, attiraient des partisans
en leur promettant le rétablissement de nos
anciennes institutions, et quelques-uns ont soutenu
de longues guerres qui mirent le trône en péril. »
éthiopiens se'recrutent parmi les hommes d’une réputation équivoque.
Ils se font redouter par l’adresse avec laquelle ils aggravent les moindres
accusations et égarent leurs adversaires dans les dédales de la chicane.
Ils ne craignent pas de se porter comme délateurs ou comme dénonciateurs
publics ; ils s’enrichissent, mais leu r richesse passe pour n ’être pas
durable, et il n ’est pas rare, du reste, qu’ils succombent sous la main de
quelque victime de leurs accusations. Les Waïzaros ou nobles, et les gentilshommes,
mettent de l ’amour-propre à. plaider leurs causes eux-mêmes
et à plaider, gratuitement bien entendu, celles de leurs concitoyens
inhabiles à présenter eux-mêmes leur défense. J’en ai vu se préoccuper,
au détriment de leurs propres affaires, de la défense d’un accusé devant
un tribunal, où le hasard les' avait conduits. La qualification d’avocat
appliquée à un homme qui ne fait pas métier de plaider est regardée
comme une injure qui rend passible de dommages-intérêts.
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