les hilarodes, les bardes, tous ceux enfin adonnés
au gai savoir, et ce nom est regardé comme injurieux
et diffamatoire ; ils ne l’appliquent pas au
poete auteur ou chanteur de poésies religieuses,
composées presque toujours en guez ou langue sacrée,
à celui qui exécute des danses religieuses, au
soldat coryphée, qui chante exclusivement des chants
de guerre, et a ceux qui, aux funérailles, chantent
ou composent des thrénodies. On remarque que les
trouvères natifs du Waïna-Deuga font de préférence
des c.ouplets et distiques gnomiques ou épigramma-
tiques, des priapées, des facéties, des farces et des
compliments; ceux des kouallas et des deugas chantent
ordinairement le mieux la guerre, la vie agreste*
les faits héroïques et les funérailles; les premiers
passent pour savoir le mieux chanter l’amour, les
seconds ont la réputation de savoir aimer le mieux
et d’être moins ingénieux à le dire.
Les familles.des deugas et des kouallas s’allient
très-souvent entre elles; il leur paraît-sage d’ap-
puyer à la fois la prospérité d’une maimn sur les
chances de fortune qu'offrent les hautes et les basses
contrées. Malgré ces relations intimes, par l’effet
sans doute de cette tendance qu’ont les hommes à
critiquer tout ce qui les différencie, l’habitant des
deugas a converti en épithète injurieuse le mot
désignant l’habitant des kouallas, celui-ci lui riposte ,
.Par une épithète analogue, et l’un et, l’autre s’y
montrent on ne peut plus sensibles. Sous ce rapport.
l’homme du Waïna-Deuga se regarde comme
le plus heureusement né,, et il raille le natif du
koualla aussi bien que celui du deuga, celui-ci, de
ce qu’il est né trop haut, ce lu i-là , de ce qu’il
est né trop bas. Cependant, quoique sa bouche
déprécie ceux qui ne naissent pas de plain pied
avec lui, il reconnaît au fond leur supériorité;
il cherche à contracter avec eux des alliances de
famille, à se ménager chez eux un abri et des ressources
contre les mauvais jours; il tourne en ridicule
leur naïveté, leur étroitesse d’esprit, traite leurs
moeurs d’incivilisées, mais il craint et estime au
fond les hommes du koualla et redoute ceux du
deuga, comme formant la pépinière d’où sortent ses
maîtres et ses conquérants.
A ces traits distinctifs des populations des contrées
deugas, waïna-deugas et kouallas, on pourrait
en ajouter bien d’autres, tant le moindre changement
dans les conditions de son existence peut
modifier l’être humain, variable à l’infini et échappant
d’autant plus à la définition et au classement,
que tout jugement est conjectural ou porte sur des
formes changeantes, comme l’onde qui s’entr’ouvre
et se referme de mille, façons diverses sous la quille
des vaisseaux qui la sillonnent. Aussi, ne me serais-je
peut-être pas hasardé, d’après mes 'seules observations,
à diviser une population entière en trois
classes, basées non-seulement sur, les différences
sensibles aux yeux, mais encore sur les nuances
morales, si je n’avais eu, pour me guider, l’expérience
d’indigenes réputés .sages et habiles dans les choses
de leur pays. C’est donc surtout d’après leurs jugements,
que j’ai tracé les trois portraits typiques,
autour desquels gravitent les ressemblances individuelles.
Du reste, ces populations s’harmonisent
merveilleusement avec les contrastes qu’offre la
nature -physique du pays; et s’il est vrai que l’uniformité
ne retient que faiblement les affections ; qu’il
leur faille des inégalités, des aspérités même où se