nent; puis, dans toutes les directions, une quantité de
huttes, cases et cassines vides, attendant leurs propriétaires,
dispersés en subsistance ou dans leurs fiefs,
formaient comme une petite ville.
Il est à présumer qu’un géologue expliquerait par
le voisinage d’un ancien volcan la configuration du sol
de Goudara, et la nature de ses rochers ressemblant
à des scories. Les indigènes, eux, se contentent de la
tradition locale, selon laquelle la plate-forme, les fossés
et la rampe seraient l’ouvrage de Ahmet-Gragne :
surpris par la nuit, lorsque fuyant avec une poignée
de soldats devant une armée ennemie, *il aurait roulé
en un tas, et disposé comme on les voit, les rochers
des environs, afin d’abriter son sommeil. En tout pays,
comme par une tendance invincible vers cet avenir
qui lui permettra de se jouer en maître de ce qui lui
fait obstacle aujourd’hui, l’homme se complait à créer
des personnalités plus grandes que nature; s’il manque
de héros, il en invente; s’il s’en présente, il les
grandit d’attributs merveilleux et les encadre de tout
ce qui lui paraît extraordinaire. Novice au milieu de
la création, sa fiction se joue d’abord de la matière
et de ses empêchements; jusqu’à ce qu’un jour la
connaissance des lois impérieuses qui la régissent,
le porte à se réfugier dans le domaine spirituel, où
il trouve des attributs dont il grandit et transfigure
les natures d’élite qui excitent son admiration. C’est
ainsi que les légendaires éthiopiens, rapportant au
héros musulman du Harar jusqu’aux accidents de
leur sol convulsionné par les volcans, l’ont grandi au
point d’en faire comme le géant traditionnel de leur
histoire.
Autour de Goudara, le pays est doucement accidente,
boisé et fertile; on découvre, à l’Est, les collines
qui entourent la source de l’Abbaïe, et les paysages
sont à la fois riches, placides et austères. Nos chevaux
et nos mules allaient se ràvigourer dans de plantureux
pâturages, noyés d’eau pendant l’hiver et réputés, avec
raison, pour refaire promptement les animaux épuisés.
Les communications étaient sûres, aucun chef rebelle
n’infestait les routes ; la présence d’innombrables troupeaux
nous promettait le beurre et le laitage à profusion
; l’Agaw-Médir, tout voisin, devait nous fournir à
bas prix un miel réputé pour ses parfums, ainsi que des
moutons et des boeufs à la chair savoureuse; les récoltes
avaient été d’une abondance exceptionnelle;
toutes les conditions matérielles /enfin nous garantissaient
le repos et le bien-être.
Je fus logé dans une grande case située entre la
maison du Dedjazmatch et celle de la Waïzoro-Sahalou,
sa femme. Cette case avait été construite avec recherche,
dans la pensée qu’elle leur servirait de lieu
de réunion. La Waïzoro, qui nous avait devancés à
Goudara, reprit, à mon égard, ses attentions bienveillantes
: matin et soir, elle faisait prendre de mes nouvelles,
et s’informait de ce dont je pouvais avoir besoin.
La plupart des chefs étant dispersés dans leurs
investitures, le Prince vivait moins entoure. Des le
chant du coq, il donnait audience aux appelants, aux
plaignants et réclamants de toute sorte; puis', il expédiait
quelques affaires avec ses Sénéchaux, déjeunait
et employait à ses loisirs le reste de la journée; deux
fois par semaine seulement il tenait son plaid. Je commençais
à parler l’amarigna, et à me passer d interprète;
mes relations avec le Dedjazmatch devinrent
plus fréquentes et plus intimes; j’étais régulièrement
de ses repas et de ses veillées; le reste de mon temps
était pris par des visiteurs, la lecture et les soins à