tion dont le foyer n’est pas entretenu. Mais nous attendîmes
vainement notre souper, et, vers dix heures,
nous nous arrangions pour dormir à jeûn, lorsque
nous entendîmes fin de mes hommes qui, pressé par
la soif, était allé demander un peu d’eau dans le
voisinage et qui se querellait violemment. J’envoyai
deux de ses camarades pour le ramener; le train
augmenta; le reste de mes-gens courut au secours;
les thèmes de guerre commencèrent, et je sortis moi-
même. Les femmes, aux portes, éclairaient avec des
torches ; une vingtaine de paysans armés tenaient mes
gens en échec; mon unique fusilier, un tison à la main,
cherchait à allumér sa mèche récalcitrante : « Dispersez
vous, imprudents! » criait-il, en dirigeant la
gueule de son arme sur les femmes, qu’il mit ainsi
en déroute. Mes gens profitaient de l’obscurité pour
donner contre leurs adversaires, lorsqu’un abbé, accompagné
dé cinq ou six clercs tenant des flambeaux,
accourut sur un petit tertre, d’où il lança contre
tout le monde des excommunications répétées.. Nous
pûmes séparer les combattants, et l’abbé, qui était
chef du village, nous reconduisit jusqu’à notre demeure.
Üne instruction sommaire, faite de concert
avec lui et quelques anciens, nous apprit que mon
soldat ayant trouvé des habitants buvant de la bière,
leur avait demandé de l’eau, et qu’ayant essuyé des
rebuffades appuyées d’un coup de bâton, dont il chercha
du reste vainement la marque, il avait mis flam-
berge au vent. Si ce n’est une égratignure faite à un
de mes hommes, les boucliers seuls portaient de part
et d’autre la trace des coups. L’abbé et son monde
partirent en s’excusant gauchement de la réception
qui nous était faite, et, peu après, il reparut, suivi
de gens portant de l’orge, de l’herbe, de l ’hydromel,
de la bière, des volailles cuites et d’autres mets, ainsi
que des pains à profusion; rien n’y manquait, jusqu’à
du bois pour notre foyer, même un luminaire. J’invitai
les anciens et leur chef à rompre le pain avec nous,
pour mieux sceller notre raccommodement; ils participèrent
discrètement à notre médianoche et se retirèrent
bientôt pour me laisser dormir. Sous prétexte
de se tenir sur leurs gardes, mes gens, mangèrent et
burent presque toute la nuit. Le lendemain, de grand
matin, plusieurs habitants nous firent la'conduite.
De pareils incidents sont habituels dans la vie militaire
en Éthiôpie. Les gens de guerre ont droit à
l’hospitalité, surtout dans les villages relevant de leur
suzerain. Chaque village se règle en conséquence; mais
l’insolence trop fréquente des soldats et la susceptibilité
souvent querelleuse des habitants provoquent des collisions
qui, heureusement, amènent rarement mort
d’homme, ce qui s’explique par l’usage de l’arme
blanche seulement, dont on peut modérer- l’emploi :
soldats et paysans s’entre - battent d’une façon mi-
courtoise. Après s’être ainsi éprouvé, on se sépar'e, on
compte de part et d’autre les horions et les égrati-
gnures, on fait la balance, on fixe le taux de la composition
en. faveur des plus maltraités, et la bonne
amitié s’établit. Quelquefois une blessure dangereuse
ou mortelle envenime ces combats, qui vont alors se
terminer en cour de justice.
Neuf jours après mon départ de G-ondar, j’arrivai
à Adwa. Le Dedjadj Oubié campait provisoirement à
quelques kilomètres de la ville; je pris deux jours de
repos et j’allai lui faire ma visite d’usage. Le Prince
déjeunait en petit comité; je fus placé à côté d’un
abbé, un de ses commensaux et conseillers favoris,
avec qui je m’étais lié à mon premier passage en