patronage quelconque. Toutefois il voulut bien nous
indiquer une maison où nous trouvâmes à nous loger",
nous y passâmes trois jours, seuls, sans drogman,
réduits à nous exprimer par signes avec quelques
vieilles femmes dont nous partagions la demeure. Nous
apprîmes alors à faire nous-mêmes notre pain,.ce qui,
avec de l’èau, formait depuis Halaïe notre seule nourriture.
Mais ce dénûment eut cela de bon qu’il me permit
d’apprécier les qualités aimables du Père Lazariste.
Le missionnaire allemand nous avait avoué que le
Dedjadj Oubié était en froid avec sa mission, mais que
son humeur ne manquerait pas de céder à un nouveau
présent qu’il comptait lui faire; il nous avait assurés
que les mauvais bruits qui couraient à la côte étaient
sans fondement sérieux; que le Prince, campé à une
heure de marche de la ville, ne voulait, il est vrai,
recevoir la visite d’aucun Européen, mais qu’il faisait
des démarches pour obtenir une audience, et que,
sitôt admis, il nous en instruirait.
Deux jours après, nous vîmes, en nous promenant
près de la ville, un rassemblement tumultueux autour
de la maison des Allemands. Pensant que si on leur
faisait violence, notre devoir était de nous trouver
auprès d’eux, nous nous rendîmes armés à leur demeure,
au milieu des menaces des habitants. Le chef
des missionnaires nous dit d’une voix alteree :
— Les Européens vont être chassés, si toutefois on
ne nous massacre tous. Je viens d’envoyer au Prince
un messager; il ne reparaît pas ; le tumulte-s’accroît,
et je ne sais en vérité ce que nous allons devenir.
Ses compagnons et lui nous remercièrent avec
effusion de notre démarche. L’un d'eux était.accompagné
de sa femme, et elle était tout en larmes. Cependant,
les attroupements s’étant dissipés, il fut convenu
que ces messieurs nous feraient prévenir en cas d’un
nouveau danger, et nous nous retirâmes.
Le surlendemain matin, deux soldats entrèrent
chez nous et nous firent comprendre que nous étions
mandés sur la place au nom du Dedjadj Oubié; mais
comme le Prince s’y faisait représenter par l’abbé
d’une église d’Adwa, je refusai de m’y rendre. Je fis
observer toutefois au Père Sapeto que sa position
différait de la mienne : j’étais un simple voyageur,
tandis que lui était le représentant d’une religion qu’il
cherchait à propager; que ce caractère le mettait au-
dessus de mes susceptibilités, et que, dût-il séparer sa
cause de la mienne, le mobile élevé qui l’animait devait
l’engager à le faire sans hésiter. Je lui conseillai d’éviter
de dire qu’il était prêtre et surtout de ne point
toucher aux points qui séparent l’Église d’Éthiopie de
celle de Rome.
L’alaka ou abbé, avec tout son clergé, siégeait sur
la place du marché, au milieu d’environ 600 soldats
du Prince. Il était chagé de décider de l’expulsion des
Européens dont les croyances religieuses lui paraîtraient
porter atteinte à celles du pays. L’interrogatoire
du Père Sapeto eut lieu au moyen d’un drogman
arabe; et, par une coïncidence heureuse, les réponses
que je lui avais conseillées s’adaptèrent aux questions
qu’on lui fit. En terminant, on lui demandade nom de
son compagnon.
— Il se nomme Michaël.
— Et toi ?
— Youssef.
— Deux noms de bon augure, dit l’abbé; ces noms
seuls prouvent que vous appartenez à une autre race
que celle des Européens qui sont en ville, et dont les
noms sont anti-chrétiens comme leurs cro}rances et