diviser; l’ignorance s’était accrue et le peuple éthiopien,
doué d’un instinct religieux vivace, s’était partagé
en trois sectes principales, sur les rivalités-
desquelles s’étaient entées plus tard les rivalités politiques.
C’est ainsi que le clergé a attisé les guerres
civiles, ébranlé dans l’esprit du peuple le respect de
son enseignement, et qu’en portant atteinte à son
propre prestige par les irrégularités de sa conduite,
suite immanquable de son indiscipline et du désordre
des pouvoirs sociaux, il s’est privé de la force
nécessaire pour empêcher qu’il ne s’introduisît dans
les moeurs certaines tolérances contraires à la moralité
de la famille, qui défigurent aujourd’hui la physionomie
chrétienne de ce peuple. Mais une réunion
d’hommes ne commande pas longtemps les vertus,
sans les pratiquer elle-même. Le clergé aurait sans
doute perdu tout prestige comme l’Empire, s’il n’eût
produit une succession d’hommes d’élite, défenseurs
sincères du bien, représentants des plus hautes vertus
cléricales et civiles, qui lui ont maintenu jusqu’aujourd’hui
une certaine autorité, la seule qui
ait survécu aux' désastres, et autour de laquelle se
groupent encore les éléments de la vie sociale. C’est
lui qui recueille dans ses maisons, et sous le porche
de ses églises, les malades, les infirmes et les blessés;
qui amène les réconciliations et préside aux traités de
paix; qui se montre presque partout le champion de
l’opprimé et fait entendre aux puissants des avertissements
salutaires. Il prodigue, il est vrai, les» excommunications,
au point d’en atténuer l’effet, mais
il ne cesse du moins d’entretenir le culte du droit,
de la justice et de la morale, et de sonner le tocsin
en leur nom.
Pendant que le Tegraïe, le Bégamdir, l’Idjou, le
Gojam et le Wora-Himano, se combattaient pour
la prépotence, entraînant les autres provinces dans
des alliances temporaires, dictées par les intérêts
du moment, seul, le Chawa, avec ses annexes, séparé
du reste de l’Ethiopie chrétienne par les Ilmormas
du Wallo, vivait en paix. Le Polémarque de cette
province portait le titre de Maridazmatch. Le dernier
qui en avait été régulièrement investi, s’en étant
déclaré roi, dès la chute de l’Empire, avait pu léguer
le pouvoir à sa famille ; et, pour empêcher ses
héritiers d’allumer la guerre civile par leurs rivalités,
à l’exemple des Empereurs, il avait fait, adopter
l’usage de tenir en captivité perpétuelle tous les
parents mâles du prince régnant. Mais quoique le
Chawa fût la seule portion de l’ancien Empire, où
l’autorité eût une base un peu stable, les espérances
nationales se concentraient ailleurs.
Les derniers Atsés avaient pris l’habitude de
donner en apanage au Ras bitwodded ou Grand
Connétable, la province du Bégamdir et ses dépendances,
comprenant tout le pays borné au Nord
par la chaîne de collines où est situé le col de
Farka, à l’Ouest par le lac Tsaïia, au Sud par l’Ab-
baïe et son grand affluent le Bechelo, et à l’Est par
le Takkazé. Sa position centrale, ses avantages au
point de vue stratégique, le caractère belliqueux de
sa population nombreuse, son voisinage de Gondar
et le précédent établi en faveur de sa suprématie,
contribuèrent à faire de cette province comme la
capitale politique de la nation et le point de mire
de toutes les ambitions. Aussi fut-elle conquise
successivement par les Polémarques du Tegraïe, du
Gojam, du Wora-Himàno et de l’Idjou; le vainqueur
se faisait nommer Ras bitwodded par le titulaire