cipline, à disloquer l’Empire; mais la catastrophe accomplie,
il reprit le sens de sa haute mission.
Frappé dans ses richesses, devenues excessives, il
se réfugia dans son domaine transterrestre, combattit
toutes les injustices par ses anathèmes et se rangea
résolument du côté des opprimés.
L’insécurité étant devenue générale, les populations
s’habituèrent à ' déposer leurs valeurs, mobilières
dans- les monts-forts, dans les cavernes fortifiées et
surtout dans les villes et bourgs dont les églises
jouissaient du droit d’asile, et où se réfugiaient aussi,
dans les moments les plus difficiles, les femmes, les
enfants, les vieillards et les infirmes des campagnes.
Ces asiles, sans remparts, sans garnison, et d’accès
facile, n’avaient, pour gardien et défenseur, que le
clergé de la paroisse, présidé par un abbé que
nommait le Dedjazmatch. Ils servirent de dernier
abri au droit, à l’enseignement, à l’industrie et au
commerce; les foires et marches hebdomadaires ne
se tinrent plus que dans leur enceinte, sous la juridiction
de l’abbé, laquelle s’étendait sur tout homme
ayant posé le pied en deçà des limites de l’asile et
couvrait également la personne du faible, de l’opprimé,
du malfaiteur et du criminel. Cet état de
choses, qui subsiste encore aujourd’hui, mettait souvent
en présence les abbés et les puissants du dehors;
le droit d’hébergement exercé par les soldats
du Polémarque de la province, les dépôts de légalité
contestable, les délinquants de toutes sortes, les
meurtriers, les déserteurs ou les transfuges donnaient
souvent lieu, de la part des chefs militaires, à des
réclamations contre la juridiction cléricale. L’abbé
et son clergé n’avaient à opposer à leurs prétentions
que des armes spirituelles, et les représentations
faites au nom du droit, de la légalité et de
l’opinion publique. En général, ces ecclésiastiques se
faisaient maltraiter, parfois même tuer, plutôt que de
livrer ce qu’on leur demandait : ils s’écriaient: «Vouons
nos corps au tranchant de l’épée! » En sa qualité
de suzerain de l’abbé, le Dedjazmatch décidait de la
légalité de ces réclamations, qu’il avait quelquefois
provoquées lui-même indirectement. L’abbé, accompagné
de son clergé et muni des emblèmes du culte,
comparaissait devant la cour de son suzerain, défendait
ses droits, et il n’était pas rare que, tournant
son accusation contre son suzerain lui-même,
il le sommât de descendre de son siège pour ester
en justice. Celui-ci nommait alors un mandataire,
remontait sur son alga et chargeait un de ses soldats
de conduire, les parties à Gondar, devant le
tribunal des Likaontes. J’ai plus d’une fois assisté à
des débats de cette nature ; j’ai vu ces gens d’Église,
faibles et sans armes au milieu d’hommes de guerre,
plaider au nom du droit, flétrir les convoitises menaçantes
de la soldatesque qui les entourait, invoquer
éloquemment la réprobation contre de puissants
adversaires, et les amener à désavouer eux-mêmes
cette force qui faisait leur orgueil.
Dans les cas de violation manifeste d’un asile,
le clergé régulier s’émouvait; les religieux les plus
vénérés quittaient leurs solitudes, rassemblaient le
clergé des paroisses, allaient dans les camps, et
généralement ils obtenaient justice. Lorsque le vrai
coupable était le Dedjazmatch, ils l’amenaient à
résipiscence, sinon ils l’excommuniaient, menaçaient
ses serviteurs de l’anathème, s’ils continuaient à
le servir, mettaient la province en interdit, et, secourus
par les religieux des provinces voisines, som
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