ses États les missionnaires et les trois ou quatre
autres Européens" qui s’y trouvaient. Laissant mon
frère à Moussawa, je m’étais rendu à Adwa avec le
père Sapeto, et, en me présentant devant le Dedjadj
Oubié, malgré ces circonstances si contraires et malgré
tous les avis, j’avais été assez heureux pour trouver
grâce et obtenir que le père Sapeto pût s’établir
à Adwa et mon frère entrer dans le pays. 5
Jusque-là mon ignorance même des intérêts qui
s’agitaient autour de moi m’avait procuré une réussite
inexplicable aux yeux de ceux qui étaient le mieux
informés, et avait fait supposer aux missionnaires protestants
que le père Sapeto, mon frère et moi, nous
devions être des agents du gouvernement français, et
que nous n’étions point étrangers à leur expulsion.
Après cette première chance si heureuse, je redescendis
vers la côte pour y prendre mon frère, et au
retour, à deux journées de route d’Adwa, nous fûmes
arrêtés, comme on l’a vu, par le Blata Guébraïe. Mais
cet incident qui remit en question notre voyage,
puisque le Blata n’allait à rien moins qu’à nous dépouiller
entièrement, servit au contraire à en assurer
l’exécution. En effet, la façon inespérée don,t je pus
m’échapper de nuit des mains de ce chef, pour aller
me mettre sous la protection du Dedjadj Oubié,
acheva de me gagner la faveur du Dedjazmatch.
D’après les moeurs féodales du pays, je devenais
ainsi le client du Dedjadj Oubié, presque son homme,
et je lui donnais le droit de réclamer, comme. sien,
tout ce qui était à moi. Les paysans de Maïe-Ouraïe,
qui retenaient encore mon frère le comprirent, et, sitôt
ma fuite, ils l’encouragèrent à se rendre avec un de
nos trois fusils de rempart chez le Dedjadj Kassa,
Polémarque du pays, suzerain du Blata Guébraïe leur
seigneur. Ils sentaient que ce dernier perdait désormais
son importance et que c’était entre le Dedjadj
Oubié et le Dedjadj Kassa que notre sort allait se
régler; que celui-ci ne manquerait pas d’ordonner
qu’on relâchât mon frère et nos bagages ; et ils étaient
bien aises d’assurer au moins à leur Polémarque un
présent précieux pour le pays.
Dans cet ordre d’idées, mon frère et moi nous
ne comprîmes pas alors que le Dedjadj Oubié, nous
regardant comme ses clients, pouvait considérer
comme une espèce de soustraction faite à son appartenance
le don offert à son voisin et rival le Ded- f
jadj Kassa. Heureusement nous fûmes assez bien inspirés
pour offrir au Dedjadj Oubié les deux fusils de
rempart qui nous restaient, ce qui atténua la première
impression fâcheuse qu’à notre insu nous lui avions
faite; et, lorsque après un court séjour à Adwa, nous
nous préséntâmes avec nos bagages à son camp, en
lui annonçant que nous partions sur-le-champ pour
Gôndar, l’assurance naïve de cette démarche l’avait
pris à l ’improviste, et il avait consenti à notre voyage.
Malgré les présents considérables qu’ils lui avaient
faits et la faveur dont ils avaient joui d’abord, les
missionnaires protestants n’avaient pu obtenir de se
rendre dans le haut pays.
Après environ trois semaines de séjour, mon frère
avait quitté Gondar pour retourner en Europe, et il
s’était chargé de deux lettres : l’une pour le roi des
Français, l’autre pour la reine d’Angleterre, que les
notables de Gondar avaient écrites à ces deux souverains
pour les prier d’arrêter, par leur intervention,
l’invasion d’une armée égyptienne qui se rassémblait
au Sennaar dans le but avoué de pénétrer en Dambya
et de mettre Gondar à sac. Cet acte de complaisance,