ses toges, la mienne étant trempée de pluie ; on
approcha un large brasier bien ardent, puis une
table bien servie. Mon hôte se crut largement payé
de son hospitalité par un collyre, qui heureusement
fut efficace; moi, je.me considérai son débiteur, et
nous mîmes à profit, dans la suite, plus d’une occasion
de nous obliger.
Je rejoignis le Prince le lendemain, avant le
boute-selle. Il venait d’être prévenu officieusement
de la mort de son allié le Dedjadj Conefo, Polémarque
du Dambya et de l’Agaw-Médir. Le conseil, réuni sur-
le-champ, était d’avis d’hiverner à G-oudara, bourgade
située sur les confins du Damote et -de l’Agaw; car,
de là, nous serions à même de surveiller les chefs
remuants de cette dernière province, et d’influer sur
les événements en Dambya.
Dès la montée de l’Abbaïe, les contingents de
volontaires et d’auxiliaires étaient partis pour chez
eux; un ban fut publié pour désassembler l’armée,
et, chef d’avant-garde, seigneurs censiers, hauber-
giers, bénéficiera, hobereaux, francs tenanciers, et
vassaux à tous les degrés .se dispersèrent rapidement.
Les chefs de bandes se rendirent avec leur^- soldats
dans les quartiers désignés pour leur subsistance
d’hiver, et le Prince, ne gardant auprès de lui que
quelques familiers et trois ou quatre mille hommes,
tant fusiliers que cavaliers et rondeliers Jj s’achemina
vers Goudara. La pluie commençait vers le milieu
du jour, nos étapes étaient très-courtes. Nous nous
arrangions de façon à arriver de bonne heure à des
villages bien pourvus, où nous logions chez l’habitant
; et quoique la présence du Prince ne contînt
qu’imparfaitement les exactions des soldats,
les paysans les subissaient ordinairement en témoignant
cette satisfaction étrange que dénotent certaines
femmes lorsqu’elles sont battues par le mari
qu’elles aiment. Notre cortège se grossissait de plaignants,
de notables, de riches trafiquants munis
de présents, d’hommes âgés ou infirmes, soldats en
retraite, de vieilles femmes titrées, de clercs, de
rimeurs et chanteurs ambulants, enfin de ces happe-
lopin et parasites de toute sorte qui grouinent autour
des Éthiopiens puissants; tous accouraient pour complimenter
le Prince sur son retour. Dans le Damote,
malgré les pluies, le clergé des paroisses voisines
de notre route se portait sur notre passage pour
bénir le Dedjazmatch et lui chanter des hymnes en
guez; des troupes de paysans se présentaient la poitrine
et les épaules découvertes; des choeurs de jeunes
filles, coryphées en tête, chantaient des villanelles
en battant des mains et en se balançant en cadence ;
derrière, elles, les matrones poussaient le cri de joie
plaintif particulier au pays ; et, comme pour narguer
les cantilènes de ces filles des champs, nos chanteuses
et improvisatrices en titre, effrontées commères
qui venaient de faire campagne avec nous,
glapissaient leurs plus bruyantes vocalises. A quelques
milles de Goudara, le Misil-Énie ou lieutenant
Sakoum Guébré Kidane, laissé à la garde du Damote,
vint au devant de nous, à la tête dune troupe
de sept à huit cents hommes, précédée par des joueurs
de flûte.
Le Prince mit pied à terre au fond d’un pavillon
oblong, ressemblant à une vaste .grange et consacré
aux grandes réunions. Les huissiers du lieutenant
s’emparèrent des portes, et pendant qu ils faisaient
entrer les convives selon leur importance, les timbaliers
se rangeaient sur la place ; les écuyers tran