soldats debout, en armes, éclairés par les flammes
dansantes du bivac, suivant attentivement la voix
vibrante de cet étrange harangueur. On lui cria
d’attendre. Avant qu’il eût achevé, un vieillard d’apparence
chétive se présenta en disant :
— 0 Guoscho ! c’est moi qui suis le père.
. Le Prince le questionnait, lorsque soudain la
lune reparaissant, le harangueur poussa un hurlement
de guerre qu’il termina par un ricanement, et
nous entendîmes le bruissement des branches qu’il
froissait dans sa fuite. A distance, il nous cria :
— Traîtres Gojamites ! vos carabines attendaient
la lune, n’est-ce pas ? Gardez le vieillard :
faites-en ce que vous voudrez ; mais il ne vous
servira pas d’appeau. Venez donc un peu ici, javeline
à javeline.
Le Prince fit sortir une troupe avec un homme
criant dans la langue des Gallas :
— Assurance ! voici le prisonnier.
Celui-ci criait également, mais en vain. Ils furent
assaillis par des projectiles, et, malheureusement,
trois ou quatre des nôtres rentrèrent blessés. Le
pauvre vieillard tremblait en reparaissant devant le
Prince, qui lui dit :
— Nous valons mieux que vous autres; va-
t’en, si tu veux.
Le vieillard se prosterna; puis, s’arrêtant un instant
à l’issue du camp pour s’annoncer à ses compatriotes,
il disparut dans les fourrés. L’ennemi nous cria:
— A la bonne heure! Maintenant reprenons la
grande affaire.
Et quelques javelots vinrent de loin se ficher entre
nos huttes, mais ce fut la fin des hostilités pour cette
nuit-là.
La richesse du deuga du Liben, comme celle de
presque tous les deugas éthiopiens, consistait en
bétail, en chevaux et en objets de valeur faciles à
soustraire à nos recherches. Ayant envoyé leurs
femmes et leurs troupeaux dans les kouallas à
l’Ouest, les habitants, cavaliers habiles et belliqueux,
avaient pris tout d’abord l’ascendant sur les nôtres,
dont les chevaux du reste, manquaient de nourriture
suffisante. Nos fantassins rondeliers, même nos
fusiliers n’osaient guère escarmoucher en plaine, de
peur d’être enlevés par l’ennemi; enfin, nos nuits
étaient si peu tranquilles, qu’on résolut de retourner
vers l’Abbaïe, en parcourant les woïna-deugas et
les kouallas, où nqus devions trouver en abondance
des grains dont nous manquions, des troupeaux,
et où notre nombreuse infanterie pourrait reprendre
tous ses avantages.
L’aspect du pays que nous avions parcouru depuis
l’Abbaïe était fort beau. Les Gallas, pasteurs à
l’origine, se préoccupent encore avec prédilection du
soin de leurs troupeaux; c’est en les poussant devant
eux qu’ils ont marché à la conquête des terres
qu’ils possèdent, et où ils se sont établis d’une
façon conforme à leur occupation favorite. Au lieu
d’être réunies en villages ou en hameaux, leurs
maisons sont éparpillées au milieu de leurs champs
et de leurs prairies, et ressemblent même à leurs
anciennes tentes rondes ¿qu’ils auraient recouvertes
en chaume. A moins d’invasion exceptionnelle comme
la nôtre, ils n’ont jamais à souffrir du passage des
armées et des dévastations qui en sont la suite.
Aucun ennemi ne venant ébrancher ou abattre les
arbres qu’ils aiment tant à planter auprès de leurs
habitations, la verdure et l’ombre réjouissent partout