patriote fut appelé au déjeuner du Dedjazmatch. Quelques
instants après, un soldat vint nous porter de la
part du Dedjazmatch le message suivant :
« Ne passe pas la journée, ne passe pas la nuit. Va-
« t-en, sinon il en ira mal pour toi; et si, dorénavant,
« j’apprends que tu es dans mes États, tu auras à pleu-
<c rer la perte de tes membres. » .
Le messager, voyant que je ne me levais point, me
dit :—
Tu ne pars donc pas? Je ne dois retourner auprès
de Monseigneur qu’après t’avoir vu t’éloigner.
Pendant que mes hommes s’apprêtaient et sellaient
nos mules, mon frère n’eut que le temps d’écrire quelques
mots au crayon pour recommandej? ses instruments
à l’Européen dont la maison nous avait servi de refuge,
et nous sortîmes de Maïe-Tahàlo, ne prenant avec nous
que ce que mes gens pouvaient commodément porter.
Ezzeraïe, le fils du Bahar Negach de Digsa, s’était
attaché à moi. Nous avions même âge. Comme il était
bruit dans le Tegraïe „qü’une haute position m’attendait
à la cour du Gojam, son père m’avait dit :
« Ezzeraïe t’aime; qu’il te suive en Gojam: tu le
pousseras, tu le formeras aux façons- de cette solda-
' tesque éphémère et turbulente qui nous régit aujourd’hui.
Cela pourra lui servir lorsqu’il sera appelé à
me remplacer. Moi je ne'peux lui donner de pareils
enseignements: je mourrai comme j’ai vécu, en combattant
ceux qui les pratiquent. » En conséquence
Ezzeraïe m’avait accompagné à Àdwa, et comme on
accusait le Bahar Negach auprès du Dedjadj Oubié
d’incliner à la rébellion, en bon fils, il avait voulu
profiter de notre visite à Maïe-Tahajo pour s’assurer
par lui-même jusqu’à quel point son père pourrait
compter sur le bon vouloir* de leur suzerain. E
quittant Maïe-Tahaio j’engageai Ezzeraïe à répudier
toute solidarité' avec moi en restant pour faire sa
cour et tâcher de regagner pour son père la faveur
du Dedjazmatch.
— Suis-je donc un autre qu’Ezzeraïe, dit-il, pour
vous abandonner dans une passe étroite? Je ne
vous quitte pas. Si la maison de mon père n’a'
d’autre soutien que le caprice d’un maître comme
Oubié, elle est bien mal assise. Allons !
Et prenant son bouclier, il me suivit, assumant
ainsi une « complicité qu’il aggravait en quittant le •
camp du Dadjazmatch, sans lui faire hommage et
sans prendre congé.
Après quelques minutes de marche nous nous
arrêtâmes derrière un pli de terrain qui nous cachait
Maïe-Tahalo, pour respirer un peu et permettre
à nos gens de se rajuster et de répartir
. convenablement entre eux les quelques objets qu’ils
avaient emportés précipitamment et un peu au hasard.
Le sentier que nous suivions courait- sur le versant
nord de la chaîne élevée du' Samèn. Devant nous
se déployait-un paysage d’une grandeur incomparable.
Nous nous trouvions dans une atmosphère
fraîche, humide ; nous étions entourés d’une verdure
luxuriante, et les dernières gouttes de rosée tombaient
des arbres. Bien loin à nos pieds, le Til-
lamté, le Waldoubba, le Wolkaïte, une partie du
Tagadé, tous pays kouallas, se présentaient à nous
avec leur aspect tourmenté, leurs plaines desséchées
et les flancs précipitueux de leurs étroits deugas
blanchissant sous un soleil qui n’avait pour nous
que des rayons tempérés. A l’Est les vastes plaines
de la province tegraïenne du Chiré, et en deçà
l’immense fissure béante au fond de laquelle court