Le Ras Marié envahit, le Tegraïe avec toutes ses
forcés; Oubié conduisait l”avant-garde. La bataille eut
lieu à Feureusse-Maïe ; le Ras y périt, léguant la victoire
à son armée. Sabagadis fut mis à mort, le lendemain,
et en retournant vers le Bégamdir, les
grands feudataires donnèrent à Oubié l’investiture
d’une portion du Tegraïe. Le Dedjadj Kassa, fils
de Sabagadis, restant en possession d’une notable
partie du gouvernement de son père, Oubié conclut
avec ce nouveau rival une alliance qu’il transgressa
presque aussitôt. Les hommes éminents du
clergé intervinrent; ils amenèrent les rivaux à une
réconciliation, et Oubié prit pour femme la soeur du
Dedjadj Kassa. Mais il ne put contenir ses projets
de conquête, et, après des alternatives de paix armée
et d’hostilités sans importance, il venait, pendant mon
séjour à Gondar, de vaincre dans une bataille le Dedjadj
Kassa et de s’emparer de sa personne. Oubié se
trouvant ainsi maître incontesté du pays, depuis
Gondar jusqu’à la mer Rouge, pouvait réunir désormais
une armée inférieure en nombre, disait-on, à
celle du Ras, mais redoutable à cause de la quantité
de ses armes à feu. Il protestait, il est vrai, de son
obédience au Ras Ali, lui envoyait des présents, mais
trouvait des prétextes pour se dispenser de faire à
Dabra Tabor la visite annuelle de rigueur pour tout
vassal; il s’attachait à capter par ses soins et ses libéralités
la Waïzoro Manann et les membres du conseil
de régence; il entretenait des intelligences avec Ali
Farès, le Dedjadj Conefo et d’autres feudataires de
son Suzerain, et il les excitait à la rébellion contre
cette maison de Gouksa qui, disait-il, finirait par
réduire l’Éthiopie à l’Islamisme.
Cependant, l’opinion que le Ras allait prendre
en main son pouvoir s’accréditait ; on présageait
que son premier acte serait- de sommer le Dedjadj
Oubié de venir à Dabra Tabor, et, en cas de refus,
qu’il marcherait contre lui. On parlait aussi de la
défection du Dedjadj Guoscho, dont le fils Birro,
Fit-worari ou général d’avant-garde du Ras, faisait
déjà ombrage à son Suzerain. Cet état de choses
causait une inquiétude générale, suspendait les relations
de province à province, et empêchait les caravanes
de trafiquants d’entreprendre des expéditions
lointaines.
Nous partîmes pour Dabra Tabor. Comme le
Lik Atskou, à cause de son âge, ne pouvait voyager
qu’à petites journées, nous n’y arrivâmes que le
quatrième jour.
Le village de Dabra Tabor, situé au sud de
Gondar, à une distance de cette ville de 130 kilomètres
environ, en raison des sinuosités de la route,
prend son nom de la petite montagne du Tabor, sur
le flanc de laquelle il est assis. Les prédécesseurs d’Ali
avaient choisi cette localité à cause de sa position centrale
et avantageuse au point de vue militaire, et à
cause de l’abondance de ses pacages, de sa chasse
et de l’agréable fraîcheur de sa température. En y rentrant,
après leurs expéditions toujours heureuses, ils
congédiaient leurs grands feudataires et y tenaient
leur cour avec une garde qui variait, selon les éventualités,
de deux à dix mille hommes. Le Ras Ali affectionnait
Dabra-Tabor et y séjournait tout le temps
qu’il n’était pas en campagne. La grande plaine située
au pied de la montagne lui servait à jouer
au mail „et au djerid ou jeu de cannes, à essayer
ses chevaux et à passer ses revues, lorsque, selon l’usage,
à la Maskal ou fête de l’Invention de la Croix,