sont trop nombreux sans doute; ils sont moins fréquents
cependant qu’on ne pourrait le supposer quand
on a été habitué à vivre dans des sociétés comme les
nôtres, administrées d’après une législation et des
règlements dont la rédaction prévoyante semble ne
rien laisser à l’arbitraire.
Il est des peuples qui ne confèrent l’autorité que
par contrat et avec un appareil de précautions jalouses,
destinées à définir et à délimiter l’action du mandataire,
ses charges et ses prérogatives, ainsi que les
droits des mandants, et à garantir ainsi la société
contre les abus de pouvoirs. D’autres peuples, au
contraire, confèrent l’autorité comme par un acte de
foi et de confiance, sans réglementations précises et
détaillées, fondant ainsi la vie civile et politique sur
le crédit. Les Ethiopiens suivent cette dernière méthode
avec d’autant plus de sécurité qu’ils ne se sont
point départis de la puissance judiciaire, qui fait de
la raison publique le véritable tuteur de leur société.
Aujourd’hui que la violence prévaut dans leur malheureux
pays, la garantie qu’offre la puissance judiciaire
ainsi constituée n’est que trop souvent illusoire. Il
y a lieu de croire cependant que c’est en grande
partie à cette constitution particulière qu’il faut attribuer
ce fait remarquable d’une société à laquelle il
a suffi, malgré la mutabilité des choses, et après
des catastrophes sans nombre, de revenir à ses institutions
pour revivre chaque fois .et maintenir pendant
tant de siècles sa forme nationale.
Comme on l’a vu, la forme sociale des Éthiopiens
est toute militaire, ce qui peut être une forme salutaire
pour les nations numériquement restreintes,
pour celles dont la vie est peu compliquée, comme
aussi pour celles qui vivent sous la menace de dangers
du dehors. Dans une telle société, chaque individu
a une valeur déterminée; il se trouve lié par
obligation bilatérale, et la conscience qu’il a de la
solidarité générale fait qu’étant fixé sur ses devoirs
envers ses concitoyens, sur ses droits à leur protection
efficace et sur sa valeur relative, comme sur
celle de chacun, il prend l’habitude de l’obéissance,
celle du respect, et une assurance de maintien qui
entretient le sentiment de sa dignité. Quel que soit
le service rendu à l’homme en vertu de l’obédience
hiérarchique, il ennoblit aux yeux des Éthiopiens
celui qui le rend; le service rendu par l’homme à
l’homme auquel il a donné sa foi étant fondamental
pour eux et le premier après celui qui est dû à Dieu
il en résulte que les avilissements qu’on attribue ailleurs
à la domesticité sont inconnus. Dans un camp
de quelque importance, il se trouve ordinairement
un certain nombre d’artisans, tels que forgerons,
selliers, ouvriers en métaux, engagés pour la campagne;
quelques-uns sont riches, mais de ce que par
état, iis sont serviteurs de tous sans l’être d’un
homme en particulier, ils sont regardés comme ne
faisant pas partie de l’armée, et sont déconsidérés,
tandis qu’il n’en est pas ainsi même des gardiens de la
pourvoirie et des bûcherons, gens proverbialement
grossiers, dont les services sont tenus pour les plus
humbles , mais qui sont du moins inféodés à un
maître et peuvent espérer de l’avancement. Les palefreniers,
les coupeurs d’herbe, les sommiers 'même
sont regardés comme hommes d’armes, et, depuis
le chef d’avant - garde jusqu’au dernier munifice,
chacun donne à connaître, par l’indépendance respectueuse
de ses allures, la conscience qu’il a de sa
»valeur. Le respect est partout : quel que soit son