levèrent partout selon l’ordre accoutumé de nos campements.
Dès ce moment, le démon de la chicane sembla
régner. De tous côtés, des plaideurs, debout et la toge
drapée comme en présence du souverain, avocassaient
chaleureusement devant des hommes assis en demi-
cercle et formant les plaids. Un soldat faisant fonctions
d’huissier, se tenait entre les parties, réglait leurs plaidoiries,
introduisait les témoins, recueillait les jugements
des assesseurs, faisait la police de l’audience, et,
en cas d’appel, conduisait immédiatement les plaideurs
en cour supérieure.
De nombreux auditeurs se, pressaient avidement à
ces plaids qui, à j uste titre, intéressent si fort les Ethiopiens.
Les questions débattues étaient palpitantes ;
c’était le contentieux de J.a bataille qu’on s’empressait
de régler avant le renvoi des prisonniers, dont les témoignages
sont O O souvent nécessaires.
-Dans les batailles entre chrétiens, les Éthiopiens
n’ayant pour se reconnaître ni uniforme, ni armement
distinct, il leur arrive quelquefois de prendre des ennemis
pour des gens de leur propre parti ; mais bien plus
souvent, des soldats revenant bredouille et voyant passer
un des leurs avec une prise, feignent de se méprendre
et lui enlèvent butin et prisonniers. Ces arracheurs,
comme on les appelle, donnent lieu parfois à des collisions
déplorables : de part et d’autre, les camarades
accourent, on se blesse, on se tue, et les procès criminels
surgissent ainsi de la victoire. De plus, comme
à l’exception des armes à feu, du parasol, du gon-
fanon et des timbales de l’ennemi, qui. reviennent de
droit au chef de l’armée, tout soldat devient sauf la
confirmation de son seigneur, le propriétaire légitime
de tout ce dont il s’empare, le dépouillement de toute
une armée ne s’effectue pas sans fournir des sujets
de litige.
D’après la coutume, l’éléphant, le lion, le buffle ou
tout autre animal, tué à la chasse, appartient à celui
qui en a tiré le premier sang. Il en est de même au
combat entre hommes. Si un ennemi est blessé par plusieurs,
sa personne et son équipement reviennent à
celui qui l’a blessé le premier, lui ou son cheval. Si
l’on frappe le cavalier de façon à ce qu’il vide la selle,
son cheval appartient au premier qui le saisit, à moins
que le sang du blessé ne soit marqué sur le cheval ou
le harnais, auquel cas le cheval devient la propriété de
l’auteur de la blessure. Il est arrivé qu’un prisonnier
- sans blessure ait demandé qu’on lui fit une légère écorchure,
afin de rendre sa prise indiscutable. Celui qui
s’empare des timbales, ordinairement au nombre de
quarante-quatre, sanglées sur vingt-deux mules qui
portent autant de timbaliers- en croupe, doit piquer
la timbale maîtresse, et pour plus de sûreté la mule
qui la porte ; les équipages, les mules et les timbaliers
deviennent alors sa propriété, jusqu’au- moment
où il aura l’honneur de les remettre au -chef de l’armée.
Le picoreur qui s’empare de plusieurs têtes de bétail
doit piquer un des animaux, de façon à ce que le
sang paraisse : ce sang protège légalement toute sa
prise contre les prétentions éventuelles des survenants.
De plus, l’habitude d’énumérer ses prouesses dans un
thème de guerre et la grande importance qu on attache
au droit de s’appliquer les épithètes honorifiques
.de Nekaïe, Zorroff, HammarZorroff et autres,
indiquant le nombre de javelines qu’on a reçues de
l’ennemi, font que chacun cherche à rendre incontestables
ses faits de guerre, et, à cet effet, le témoignage
des prisonniers devient souvent nécessaire.