chant intermittent se fit entendre dans le lointain : la
voix était fraîche et belle; elle venait d’en haut; le
chanteur parut sur un roc en saillie, et là, après avoir
chanté et chanté,.il demanda, en bouts rimés, la permission
de descendre plus bas encore, afin de saluer
son Seigneur et de prendre, disait-il, son baptême de
santé. On lui cria de venir, et il vint en chantant
gaiement jusque devant le Prince. C’était un joli
soldat de vingt et quelques années, natif du Metcha;
il gagna de partager notre vie jusqu’à notre retour
au camp.
Monseigneur fit réparer sous ses yeux le riche
bouclier du Lidj lima et me le donna. Quoique
très-touché de ce présent, je le refusai, et, pour
motiver mon refus, je lui découvris pour la première
fois mon projet d’aller à Moussawa, où j’avais
rendez-vous avec mon frère. Je lui dis que ce bouclier,
trop riche pour ma condition, m’exposerait,
lorsque je ne serais plus en Gojam, à la malveillance
de ceux qui se trouvaient froissés par notre récente
victoire; que ma participation à la bataille suffisait
déjà pour les inciter contre moi, et qu’il serait imprudent
de les braver en portant une arme que tout
le monde reconnaîtrait pour avoir été prise au Lidj
lima.
— Soit, dit le Prince; le bouclier attendra ton
retour.
Il fut convenu que je partirais la veille du jour
où l’armée se mettrait en marche pour, le Damote.
Cette décision resta secrète; mon projet ne l’était
pas, mais on regardait comme certain que le Prince
s’y opposerait.
Plus de vingt jours après la bataille, le Dedjadj
Birro fit dire à son père qu’il était établi en Dambya
de telle sorte qu’il pouvait désormais se suffire
à lui-même; et les soldats poussèrent des cris de
joie en apprenant qu’ils allaient rentrer en Damote.
L’avant - veille de la levée du camp, j’envoyai prévenir
mes amis et les principaux chefs de mon départ
pour le lendemain matin, et je m’excusai sur ce
que l’heure avancée et la brièveté du temps m’empêchaient
de leur faire mes adieux en personne.
Tous manifestèrent de l’étonnement; l’un d’eux était
à boire, et il s’écria en entendant mon message :
a; Venu de si loin pour me servir de frère et me
laisser de la sorte, là subitement, comme la mort ! »
Et il brisa contre terre son burilé d’hydromel et se
couvrit la tête de sa toge.
Le lendemain, le Dedjazmatch me reçut de très-
grand matin, et sans témoin ; il me donna des conseils
relatifs à mon voyage et me demanda si je
désirais quelque chose qui fût en son pouvoir. Au
sortir de là, je trouvai un grand nombre de notables
réunis devant ma tente; ils me firent asseoir
au milieu d’eux et restèrent quelques minutes silencieux,
la figure couverte de la toge jusqu’aux yeux.
— 0 fils de ma mère, me dit enfin le plus âgé,
c’est une mauvaise nouvelle qui nous réunit ici; il
eût mieux valu peut-être ne pas nous connaître. On
parlait, il est vrai, de ton voyage, mais nous pensions
que la force de vouloir te manquerait au dernier
moment. Nous ne te dirons rien, du reste, que
Monseigneur ne t’ait sans doute dit. Nous venons pour
te faire la conduite, et te souhaiter de trouver où tu
vas des amis comme nous. C’est bien pour ce matin,
n’est-ce pas? Eh bien ! nous allons nous ceindre et
monter à cheval.
On vint me prévenir que les membres du conseil