parmi mes sauveurs, et je désire le remercier cette
fois.
En deux mots, il raconta aux assistants à quel
heureux hasard il devait d’avoir échappé aux Gallas;
puis il vint me saluer et s’en alla.
L’armée marcha encore deux jours, de façon à
faire croire à l’ennemi que nous allions rep'asser
l’Abbaïe; mais, faisant volte-face, nous remontâmes
sur un woïna-deuga, dans l’espoir que les habitants,
nous ayant vus descendre vers l’Abbaïe, auraient
ramené leurs troupeaux, qu’à notre première approche
ils avaient mis en sûreté dan? un quartier
éloigné. Notre stratagème ne nous réussit qu’imparfaitement.
Non loin de là, se trouvait un monument monolithe,
célèbre par la vénération dont il était l’objet
chez les Gallas. Les traditions gojamites l’attribuaient
au conquérant Ahmed Gragne. Selon les unes, Gragne
poursuivant les débris de l’armée impériale jusqu’en
Liben, pays alors chrétien, qui faisait partie du Grand
Damote, après avoir fait incendier les églises, dressa
ce menhir ou pierre fichée, pour indiquer le kibleh
ou direction de la Mecque ; selon d’autres, il la planta
comme borne d’une de ses courses victorieuses ; selon
d’autres enfin, c’était une pierre tumulaire marquant
le lieu où un de ses favoris était tombé en combattant.
Ces traditions s’étaient converties chez les
Gallas en superstitions grossières qui les portaient
à vénérer cette pierre, à lui faire, à certaines époques
de l’année, des onctions de beurre, de graisse et de
parfums, et à y accomplir des tauroboles et même,
dit-on, des sacrifices humains. Le Dedjazmatch crut
de son devoir de chrétien de détruire ce monument
çj’idolâtrie ; sa vanité se trouvait d’ailleurs flattée fle
l’idée d’effacer les traces du conquérant musulman.
Laissant l’armée au camp sous le commandement
du chef d’avant-garde, il partit à la pointe du jour,
avec huit à neuf cents cavaliers d’élite, et après
environ trois heures de marche, nous atteignîmes
le monolithe.
Ce monolithe, haut de près de deux mètres, était
dressé au sommet d’une petite butte. L’aspect des
terrains environnants donnait à supposer quil avait
dû être apporté de loin. Sa forme un peu en pointe
était celle d’une pierre druidique; des amulettes,
des onctions de beurre, des péritoines d’animaux et
des parfums couvraient sa partie supérieure., des
fils votifs de différentes couleurs entouraient sa base,
où l’on voyait l’usure produite pat les armes que
les Gallas y aiguisaient afin de les rendre victorieuses.
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Q ui m’aime fasse comme moi ! dit le Prince, en
jetant quelques' broutilles contre l’idole. Et grâce à
l’empressement de chacun, elle disparut sous un
. énorme bûcher. Bientôt l’intensité des flammes força
notre cercle à s’élargir. Nous espérions que la pierre
éclaterait; mais lorsque le combustible se fut affaissé
en cendres, elle reparut dans son intégrité. On dispersa
le feu. Plusieurs hommes chargèrent à bras un
tronc d’arbre, et, balançant leurs efforts, donnèrent à
plusieurs reprises de ce bélier, improvisé; mais elle
resta encore inébranlée. Les superstitions des assistants
s’éveillaient, lorsqu’un homme vigoureux, en
ruant une lourde pierre, fit enfin sauter un éclat du
sommet. On poussa des hourras.
Très-bien! dit le Prince, mais cela ne suffit
pas; dussé-je venir camper ici, il faut flue je
truise.