blanchies à la chaux. C’est assez loin de Moka que
les caféiers croissent, sur les pentes qui relient le
koualla (tahama en arabe) au deuga (en arabe nedjd).
Depuis l’évacuation des troupes du viCe-roi d’Égypte
en 1840, l’Yémen était gouverné d’une façon désastreuse
par une famille dé Schérifs venus de l’intérieur
de l’Arabie et dont le chef se nommait Hussein. L’indiscipline
de ses soldats rendait le commerce presque
impossible, et quelques semaines auparavant, Hussein
ayant fait à Moka une réception insultantê à l’état-
major d’un bâtiment de guerre de la Compagnie des
Indes, les Européens n’osaient plus y débarquer. En
conséquence, bien que notre équipage manquât de
vivres frais, le capitaine jugea prudent de ae point
communiquer avec la terre, et notre brick resta en
rade, à trois milles environ dii -débarcadère.
La perspective d’avoir à passer plusieurs jours dans
cet isolement me décida, malgré les avis contraires,
à me rendre à terre, et pour ne pas exposer nos canotiers
à une mésaventure, je me iis transborder sur une
pirogue indigène qui passait avec défiance à distance
de notre navire. Une.douzaine de soldats du schérif
accoururent au devant de moi au débarcadère. Leurs
allures équivoques ne me rassuraient guère, mais ils
me rendirent le salut et se rangèrent pour me laisser
passer, me prenant sans doute pour quelque déserteur
turc en quête de fortune ; car afin d’être plus à la légère
j’avais pris le costume Arnauté, dont l’usage m’était
familier. En entrant en ville, je me fis indiquer la demeure
du gouverneur, le redouté sçliérif Hussein, qui
s’était réservé l’afirninistration de la ville. Je fus admis
sans difficulté.
Le Schérif était un homme d’environ quarante-cinq
ans. Il avait les façons hautes, aisées,. mais le gonflement
fréquent de ses narines et un petit-frémissement
passager de sa lèvre supérieure semblaient justifier ce
que l’on rapportait de ses implacables colères. Il me
fit asseoir : je lui dis qui j’étais et ce qui m’amenait;
il me sut gré de la confiance de ma démarche, fit servir
le café, et lorsque je. voulus me retirer il insista gracieusement
pour me faire rester. Il me questionna sur
l’Ethiopie, me montra scs armes, quelques étoffes de
prix et ses chevaux, dont quelques-uns étaient de la
race la plus pure. J’admirai entre autres choses la
ceinture qu’il portait.
— Elle est peu commune, en effet, me dit-il. Un
trafiquant venu de l’Inde m’en a fait cadeau.
Et tout en causant il la- défit et me la» présenta en
disant :
— Qu’elle soit bénie à tes flancs !
Après un entretien prolongé je me retirai rassuré
désormais.
J’allai loger chez un riche indigène qui était à la
fois agent consulaire de la France, de l’Angleterre, des
États-Unis,'de-l’Égypte et je crois de l’Espagne aussi.
Cet homme trafiquait de tous ces pavillons avec une
intelligence effrontée, et quoique encore jeune, il avait
amassé une très-belle fortune qu’il essayait de préserver
contre les exactions du Schérif et de transférer
sournoisement à Aden. Il parut peu enchanté de ma
visite ot ne reprit son assurance que lorsque je lui eus
fait part du bon accueil du Schérif.
Le lendemain, je fis savoir à mes compatriotes que
j’étais en sûreté, que je pouvais même leur procurer
des provisions fraîches, et ils m’envoyèrent un canot
que je fis remplir de fruits et de légumes. Le Schérif
Hussein m’ayant engagé à le voir souvent, soir et matin
je me présentais à son divan, et il m accueillait