Il restait à détruire complètement la propriété,
gage de la stabilité de la famille. Durant les guerres
civiles, les Atsés avaient exproprié de leurs terres
des provinces entières ; ils les donnèrent à des colons
étrangers ou les rendirent à leurs anciens propriétaires,
mais à des conditions serviles, et ils
affirmèrent désormais l’idée musulmane, que le territoire
de l’Empire appartenait à l’Empereur, et que
leurs sujets n’en pouvaient avoir que la jouissance!
Bientôt ils les appelèrent leurs esclaves, et, quel que
fut son rang ou sa dignité, tout citoyen qui avait
à solliciter une faveur ou à réclamer un droit dut
se dire l’esclave de l’Empereur.
Le Lik Atskou me racontait qu’un jour les habitants
d’une commune éloignée étant venus à
l’audience de l’Empereur pour se plaindre de quel que
abus, l’empereur, après les avoir écoutés jusqu’au bout :
— Voyons, leur dit-il, sur la terre de qui êtes-
vous debout, en ce moment ?
Sur celle de Votre Majesté.
— Eh bien ! trouvez d’abord dans l’Empire une
motte de terre, d’où vous puissiez réclamer sans
etre sur ma terre ; j ’examinerai après.
cc Les hommes, ajouta le Lik Atskou, sont sourds
et aveugles : on leur crie, ils n’entendent pas ; on
leur montre, ils ne voient pas, jusqu’à ce qu’un
jour un rien leur fasse subitement ouvrir les yeux
et les oreilles. Jusque là, dit-on, nos pères n’avaient
pas cru à la réalité d’un dépouillement aussi complet.
Cette réponse sacrilège répétée partout leur fit
comprendre leur abaissement. Nous n’étions plus
qu’une nation de mendiants. »
Conîme pour accroître ces misères, le clergé qu’on
avait réduit au silence en le comblant de biens, se
livra^avec fureur aux dissensions théologiques. Les
dissidents s’appuyèrent sur des partis de mécontents
: des guerres civiles éclatèrent, * au nom de la
religion; les répressions, envenimées par l’esprit de
secte, atteignirent tous les excès de la barbarie, et,
ces lugubres répressions accomplies, les Empereurs
se faisaient gloire de convoquer des conciles ou des .
synodes et de décider en maîtres des questions du
dogme. La nation était exténuée ; les Empereurs ivres
d’orgueil. Il y a ‘trois siècles environ, l’un d’eux,
après avoir vu défiler pendant plusieurs jours ses ♦
armées, à la revue annuelle, s’écria : « Le monde
entier ne me peut pas ! » et il pria Dieu publiquement
de lui envoyer un ennemi qui fût à sa taille !
Pendant toutes ces discordes, quelques provinces
situées aux extrémités de l’Empire s’en étaient détachées
; entre autres, la province. de Harar, située
au S.-E. ; elle avait adopté l’Islamisme et s’était
donné un roi. Dans la seconde » moitié du seizième
siècle, un simple cavalier du nom d’Ahmed, au
service de ce petit souverain, prit la campagne
avec quelques compagnons, comme rebelle contre
son prince qu’il accusait d’un passe - droit. Il détroussa
les caravanes, arrêta les voyageurs, pilla
des hameaux écartés, et sa "troupe s’augmenta.
Redoutant pour ses méfaits la vengeance de ses
compatriotes, il s’éloigna et s’en fut rôder sur les
frontières de l’Empire. Il surprit et battit en plusieurs
rencontres les troupes du Méridazmatch ou
Polémarqüe du Chawa, qui, s’étant mis lui-même en
campagne, fut surpris, vaincu et tué. .Des troupes
a’Ahmed, grossissaient à chaque succès. Pour protéger
le Chawa, l’Empereur envoya une armée;
Ahmed la défit en bataille rangée et tua de sa